jeudi 31 mars 2011

JDB 31.03.11



Aujourd'hui, nous sommes le 31 Mars 2011, et notre séance de pratique est un peu particulière étant donné que nous faisons un filage complet des épisodes d'Agamemnon, clôturant ainsi pour quelques temps notre travail sur cette œuvre. Avant cela, nous avons commencé par un exercice qui consistait à clamer le texte très simplement, en ayant pour unique contrainte de dire tous les mots, en les articulant au maximum, et en allant très lentement. Cet exercice avait pour but de nous familiariser avec le texte, de nous donner confiance en celui-ci. Nous avons pour une fois abandonné tout le jeu lié à nos personnages, afin d'être uniquement dans la parole. Effectivement, une erreur commise pas beaucoup d'entre nous est de plaquer une émotion dès l'abordage de notre personnage. Une émotion que nous croyons être la bonne, comme un état dans lequel serait le personnage. Ceci est une fermeture au texte qui ne produit plus de sens, mais est enfermé dans l'idée que nous nous faisons de ce que doit être notre personnage. Le fondement de l'exercice est justement de nous sortir de cela. Il faut partir du texte, afin de produire du sens quant au personnage, ainsi, la signification des mots nous entraine, nous, acteurs, dans un état d'abandon qui construira notre personnage. Le terme "on" est employé à juste titre car il n'existe pas une seule interprétation d'un personnage, mais chaque comédien créé sa propre vision de celui-ci. Il met son humanité au service du personnage, de telle sorte que chaque imagination et donc interprétation est différente. C'est ce qui créé la grande richesse du théâtre. Hamlet, joué des dizaines et des dizaines de fois, est à chaque mise en scène, et je dirais même à chaque représentation un Hamlet différent. Il faut se laisser submerger par le texte, car c'est lui qui produira du sens face au personnage. Par ailleurs, le personnage n'est rien d'autre qu'un texte. On ne sait de lui que son sexe, son âge, et quelques informations, mais il est essentiellement la production des mots qu'il va prononcer. Il faut donc partir du texte pour fabriquer une interprétation et non l'inverse. C'est pourquoi cet exercice était formateur. La lenteur et l'articulation excessives étaient une contrainte a priori facile, mais sur le plateau, on remarque que cela demande un effort et une forte concentration. Elles ne viennent pas naturellement. De plus, j'ai remarqué que malgré cette exigence, on retrouvait des petits bouts de partitions que nous disions de la même façon que lorsque nous étions en jeu. Notre habitude reprenait le dessus. Personnellement, j'ai trouvé que cet exercice était très intéressant et surtout très instructif. Il nous a tous permis, je crois, de mieux comprendre le texte, que se soit notre partition, ou celles des autres. Nous avons entendu des choses que nous n'avions pas encore entendu.


Par la suite, nous avons fait un deuxième exercice qui était celui de la respiration ventrale. Le principe était de se mettre sur le dos et de contrôler nos respirations afin d'amplifier notre voix sur le plateau. C'est un exercice très technique, mais aussi très important. L'exercice était précédé d'un travail de relaxation, basé sur la visualisation intérieure de chaque partie de notre corps. Il avait pour but de nous faire prendre conscience de tout notre corps, une gymnastique mentale que nous devons opérer à chaque seconde sur scène. Elle nous permet d'avoir une précision du corps décisive. De plus, ces exercices de relaxation nous font rentrer dans une concentration très précieuse pour la suite de notre séance, le filage d'Agamemnon.


C'est d'ailleurs avec celui-ci que nous avons continué notre séance. Les premiers dans la conduite sont les émissaires, et c'est précisément ma propre partition avec Laurine. Nous avions un peu peur de commencer, car même si ce n'est qu'un filage, c'est tout de même important et impressionnant. La difficulté principale que nous avons avec Laurine, c'est de redécouvrir et revisiter à chaque fois notre parcours. De part notre parti pris face au personnage de l'émissaire (les siamois), nous sommes obligées de chorégraphier tous nos mouvements. Ainsi, nous avons tendance à nous reposer sur ceux-ci, et à les rendre trop prévisibles. Ils manquent de spontanéité. Au sortir de ce filage, nous savons qu'il faut travailler sur ce problème. Il faut que toutes les deux, nous trouvions une harmonie dans nos mouvements, afin de redécouvrir notre partition à chaque fois. Les premières Clytemnestre sont les deuxièmes à intervenir et personnellement, j'ai trouvé leur prestation très impressionnante. C'est la première fois que nous assistions à une telle intensité de leur part à toutes. Chacune n'était ni trop au dessus, ni trop au dessous. Elles avaient une magnifique écoute entre elles, de telle sorte que leur texte était fluide et bien enchaîné. Cette harmonie s'est notamment sentie dans leur entrée, lorsque pour la première fois, elles ont soulevé et lâché le rideau parfaitement ensemble. Nous avions face à nous un véritable cœur de Clytemnestre. Vint ensuite les Cassandre. Celles-ci ont réussi à trouver une union fantastique, car chaque Cassandre était le fruit d'un travail personnel de la comédienne, de telle sorte que nous étions confrontés à des Cassandre toutes différentes les unes des autres. Chacune a réussi à trouver sa place dans ce travail collectif, ce qui est difficile quand on doit s'intégrer à un chœur de sept personnes. Malgré leur particularité, elles étaient en harmonie toutes ensemble, s'écoutant les unes les autres, et se nourrissant chacune de la proposition de l'autre, trouvant un équilibre entre elles. Néanmoins, je pense qu'il faut faire attention à ce que leur contrainte (la boîte noire) ne devienne pas pénalisante, en se cachant derrière le rideau, c'est à dire en le prenant comme couverture pour ne pas se montrer sur scène. Je pense qu'elles devraient, lorsqu'il s'agit de leur partition, s'avancer plus sur la scène et trouver leur parcours, leur trajectoire propre, en osant tout de même entrer dans la lumière. Les deuxièmes Clytemnestre, celles de l'eccyclème, sont les troisièmes de la conduite Agamemnon. Comme toutes les autres scènes, nous avons assisté à une harmonie assez inédite. Chacune des Clytemnestre avait pris confiance en elle, nous donnant des images très fortes, comme l'entrée de Nataly et d'Alice avec le corps d’Agamemnon. Quant à la dernière Clytemnestre, c’est sans doute celle que nous avons le moins travaillé pour le moment, mais nous avons réussi à donner une image puissante et significative à la scène, tout en la combinant avec nos attentes pour la fin du travail, c’est à dire être tous sur scène pour pouvoir ensuite la quitter sur l’éloge Cornélien du théâtre. En conclusion de ce filage, nous avons tous été agréablement surpris de l’endroit du projet où nous étions. Aucune scène n’est en retard, et chacune est bien entamée dans le travail. Nous avons une partition d’Agamemnon qui est pour l’instant plutôt convaincante, même si elle demande encore du travail.

Analyse de spectacle : Le Développement de la civilisation à venir (version d'une Maison de poupée d'Ibsen) Daniel Veronese / Sartrouville

Cette pièce parle de la condition de la femme, son émancipation et l’individualisme. Veronese actualise plus cette pièce que Martinelli. En effet, il veut nous faire changer de point de vue par rapport à Maison de Poupée. Son but est que la vérité sur les personnages voit le jour. Lorsqu’on se met du côté de Nora, on comprend qu’elle veut quitter son mari et s’émanciper. En effet, il est violent et la traite comme une vulgaire enfant. E côté violent nous plonge dans le monde de maintenant. En effet, de plus en plus de femme sont battus et prisonnière de leur mari. De plus, nous, spectateur, ce qui nous interpelle lors de son départ est l’avenir de ses enfants. Ce n’est peut-être qu’une toute petite chose mais les enfants sont importants et Veronese veut souligner cet aspect dans la pièce. On peut dire que Veronese s’est emparé de la pièce Maison de Poupée pour la moderniser et pour faire ressortir les thèmes importants (recherche de la liberté, femme étouffée dans son environnement familial, émancipation de la femme quel qu’en soit le prix social et personnel…). En tant que spectateur, nous sommes constamment entrain de nous questionner sur le personnage de Nora et je pense que c’est le but de Veronese. Tous les thèmes de cette pièce sont encore présents aujourd’hui et le rêve d’émancipation de la femme est encore présent dans certaine communauté. Veronese s’est juste inspiré de la pièce de Maison de Poupée au niveau narratif pour faire ressortir ces thèmes principaux toujours d’actualité. Cela peut permettre aux spectateurs d’arrêter certains préjugés, trouver des solutions et ouvrir les yeux. Veronese met en valeur l’histoire de Nora comme étant un drame actuel. Il apporte une dimension contemporaine à la pièce Maison de Poupée d’Isben sur l’échec du mariage et les illusions perdues.

Au niveau de la scénographie, les deux mises en scènes sont contraires. La mise en scène de Martinelli nous montre un décor simple, moderne et épuré. Tout se passe dans un salon contemporain, il nous montre un lieu assez bourgeois et entretenue. Pour Veronese, c’est le contraire. En effet, Le décor est très succinct et simple. En effet, il y a un salon, une cuisine américaine et deux portes. Il nous montre un lieu assez pauvre. Les murs de couleurs jaunes et bleus sont délavés et les meubles sont assez vieux et en bois. On peut donner une signification à la couleur jaune. En effet, le jaune est symbole de joie, de fête et de chaleur. Mais elle représente aussi la puissance (c’était la couleur de l’empereur de Chine). Cependant, elle peut aussi être associée à la traîtrise et au mensonge. On peut dire que cette couleur représente assez bien le caractère et la personnalité des personnages. Elle concentre toute la puissance dramatique de la pièce. Au niveau des personnages, on peut dire que celui de Nora est étincelant. En effet, c’est une femme belle, élégante et pleine de vie. Cependant, elle est considérée par son mari comme étant une enfant, inconsciente et n’ayant pas le sens des responsabilités. Lorsque Nora entre sur scène, on a l’impression qu’une bombe ou une tornade vient de s’abattre sur scène. Elle court sans arrêt, rit, danse et joue. Elle ne s’arrête jamais. On a l’impression que c’est une poupée qui est sans arrêt secoué et qui ne peut pas s’arrêter. On peut dire que Nora est comme une bombe à retardement dans cette tragédie. En effet, au début, elle cache son acte derrière une énergie explosive puis lorsque son mari apprend la vérité, le bombe explose et laisse une Nora désespérée, remplit de douleur et qui décide de s’émanciper malgré l’amour qu’elle avait pour son mari. En effet, l’acte qu’elle a commis était pour le sauver (il était gravement malade). Mais son mari est un homme dont sa réputation professionnel est plus importante que l’amour qu’il apporte à sa femme. Son mari est un homme violent et imposant. En effet, lorsque Nora veut sortir, il lui prend ses clefs et la jette plusieurs fois contre le mur pour essayer de la raisonner. On peut dire que ces corps sortent tous droits de la réalité contemporaine et de la vérité humaine. En effet, les femmes soumises et recevant des coups par leur mari sont présentes encore aujourd’hui). Ces personnages sont incapables de maîtriser leur destin. On peut dire que cette interprétation poignante, profonde et violente nous bouleverse.

En conclusion, on peut dire que cette pièce nous montre bien une tragédie. En effet, il y a une progression vers la catastrophe et un renversement du bonheur en malheur. De plus, Nora nous montre aussi un passage d’un ordre ancien à un ordre nouveau. C'est-à-dire l’émancipation d’une femme et toujours manipuler par un mari possessif et violent. C’est un passage dans un monde moderne. On peut dire que Nora, malgré un avenir incertain, est l’emblème universel des femmes qui luttent pour leur libération et pour l’égalité. Veronese rend cette pièce vivante, actuelle et se rapprochant d’une certaine universalité. Il nous fait entrer dans l’intimité des personnages, un univers vif, poignant et remplit de souffrance.

Extrait d'analyse: Maison de Poupée (version revisitée par Daniel Veronese)

C’est une version écourtée qui nous est présentée ici, mais au contraire de ce que l’on aurait pu penser, ce n’est absolument pas une version atrophiée de la pièce, mais plutôt une concentration très sensée et presque plus « vraie » que nous avons eu l’occasion de voir. Il s’agit en effet ici d’une adaptation de la pièce originale, car le metteur en scène la « réécrit » pour n’en garder que l’extrait, que la pulpe du sens au cœur de la longue pièce. Cet allègement nous permet d’être plus proche du message envoyé par la pièce, d’être plus au cœur de l’intrigue et de mieux comprendre l’émancipation nécessaire du personnage de Nora. Le spectateur, grâce à cela, est plus en empathie avec le personnage de Nora et le comprend bien mieux, il fait ressortir avec cette version écourtée et cette intensité (aussi bien dans le jeu des acteurs que dans le temps) l’urgence pour la femme de cette époque, enfermée dans les apparences et les interdits, de s’émanciper, même si pour cela elle doit faire le plus gros des sacrifices. Le metteur en scène justifie ce resserrement en disant qu’il a tout d’abord souhaité travailler à l’intérieur de la pièce ce qui faisait écho en lui, soit ce qui touchait plus directement sa propre subjectivité. Ce qui en ressort nettement pour le spectateur est qu’il choisit en effet de n’en garder que l’essence, et de se débarrasser de toutes les « fioritures » qui la révèlent. Par exemple nous pouvons comparer le rapport de Nora à Krogstad entre les deux versions que nous avons vues. En effet dans la seconde ce rapport s’exprime selon moi par l’aspect majeur de leur lien : soit la peur. Ce qui se fait le plus ressentir est l’immense angoisse qui hante le personnage de Nora, la pièce elle-même est ici recentrée sur cet épisode qui est le passage même où Nora prend son étoffe, et cesse d’être cette oiseau chanteur par ses émotions. Les évènements extérieurs à la transformation, à la révélation du personnage de Nora sont beaucoup moins exploités, comme l’histoire d’amour entre Kristine et Krogstad. Et chaque fois que les évènements extérieurs au développement de Nora sont évoqués ils sont exploités par rapport à elle et non en tant qu’évènements indépendants. En effet lorsqu’il s’agit de trouver un emploi à son amie Kristine, ce que l’on voit ce n’est pas la situation de Kristine mais plutôt le rapport entre Nora et son mari, sur la question de la demande du plus faible au plus fort, et donc sur leur relation. Nous pouvons ainsi voir qu’ici Nora est suppliante face à son mari, mais contrairement à la première version Nora n’est pas celle qui attend derrière la porte du bureau en espérant qu’elle s’ouvre, mais celle qui y entre avec fracas. C’est une Nora plus culottée et plus engagée que nous présente ce metteur en scène.

Analyse de spectacle - Maison de poupée Ibsen/Veronese


Nous avons assisté le jeudi 31 mars à une représentation de l’adaptation de la pièce phare d’Henrik Ibsen par Daniel Veronese, grand metteur en scène et dramaturge argentin, dans sa version originale sous-titrée. Veronese opère un travail singulier sur Ibsen, en effectuant une double lecture avec Hedda Gabler : loin d’adapter ces deux pièces à la sauce « XXIe siècle », il les relie et les fouille afin de les « épurer » ; il leur donne un sens non atemporel (car Maison de Poupée, par son écriture, l’est déjà) mais essentiel, universel.
Tout d’abord, Veronese effectue un premier mouvement de resserrement scénographique et dramatique.
Il choisit pour l’univers d’Ibsen un intérieur rudimentaire, modeste et assez impersonnel qui est le cadre du foyer dans son aspect le plus basique, comme un « appartement témoin » du quotidien humain de la classe moyenne. C’est aussi, nous le verrons plus tard, un espace qui apparait comme clos, un petit vivarium où les personnages ont l’illusion de pouvoir entrer et sortir quand ils veulent, mais c’est une illusion. Il crée des jeux en hors-champs, scènes cachées et honteuses de la vie de tous les jours. Nous entrons dans la salle et déjà, Cristina et le Docteur Rank discutent sur un sofa. Ambiguë cette entrée en matière : sont-ce les personnages qui papotent (dans ce cas nous avons la sensation de pénétrer leur quotidien à leur insu) ou les actrices ? Daniel Veronese a, très certainement, voulu « désacraliser » cette obligation du décor, qui peut anesthésier l’enjeu de la pièce, comme c’est le cas dans un grand nombre de mises en scènes. Ici, les comédiens semblent avoir un rapport détaché à la scénographie, qui est un simple support de jeu, parce qu’il fallait bien représenter la maison de Nora et Jorge à un moment donné. Le titre de Maison de Poupée prend son sens pour moi ; Ken et Barbie (sans les assimiler à Jorge et Nora, qui sont des anti-Ken et Barbie !) ont besoin d’une maison, mais une petite fille se préoccupe d’abord de l’histoire qu’elle leur fait vivre et raconter.
Par « resserrement dramatique », je veux dire « radicalisation des personnages ». Ici les cinq personnages initiaux (Jorge et Nora, Cristina, le Docteur Rank, Krogstad) sont en quelque sorte réduits à trois entités : celle de Nora, celle de Jorge, bien distinctes, et celle de Cristina-Rank-Krogstad qui deviennent beaucoup plus secondaires que dans la mise en scène de Martinelli par exemple, où le vécu et le ressenti de chacun prend plus de place dans la représentation, dans la signification du récit. Chez Veronese, ces trois personnages sont des silhouettes quotidiennes qui viennent peupler l’espace de l’appartement de Nora et Jorge. On retrouve certains stéréotypes de la société : le Dr Rank se transforme en lesbienne pique-assiette, meilleure amie envahissante et exclusive de Nora, une sorte de double « virilisé » , Cristina et Krogstad gardent leurs identités de veufs au chômage qui cherchent quelqu’un à qui s’accrocher. Ce sont des électrons libres qui parasitent (ou camouflent) le noyau qu’est le couple. Lorsqu’ils disparaissent, c’est comme si Veronese arrachait « l’épiderme social » de Jorge et Nora (celui du cinéphile bien en chair, celui de la femme au foyer légère et dépensière) fait de banalité et de jovialité convenue. On ne peut plus se réfugier derrière les témoins, la chair est à vif, laide et écorchée. Veronese débarrasse la pièce d’Ibsen de la peau morte des mises en scènes antérieures, au décor surfait et étouffant (qui, comme dans l’adaptation de Martinelli, fige les personnages dans un éther artificiel et les rend plus ou moins creux) et met le couple à nu sur scène. Le couple millénaire, le regard tout aussi ancien de l’un sur les défauts de l’autre, le combat banal et journalier. C’est là le centre même de la pièce.

Au lie de fondre Nora et Jorge dans un contexte social et temporel arrêté, qui semble une étape obligée pour beaucoup de metteurs en scène (dans le cas de Martinelli - oui, je le critique beaucoup ! - un cadre pseudo « seventies » froid) Veronese, au contraire, les en fait émerger et surplomber ce magma tiède de leur quotidien. Il traite les deux personnages de manière incisive et épurée, explore chaque parcelle de leur être, bonne et mauvaise, tout entiers et débarrassées de leur étiquette. Au fil de la représentation, ces figures connues du théâtre nous surprennent, créent un certain suspense même si nous connaissons l’histoire, car la mise en scène de Daniel Veronese va partout, dans toutes les pistes possibles, et ne se limite pas au shéma « yin yang » oridnaire.
Jorge n’est pas seulement l’homme d’affaire pantouflard et machiste, c’est aussi un homme riche en culture cinématographique (ce trait de caractère est bien sûr ajouté par Veronese, car au XIXe siècle - siècle de parution de Maison de Poupée - il ne pouvait évidemment pas donner son avis sur un film d’Ingrid Bergman !) qui malgré son embonpoint très « nounours » dégage une certaine sensualité ténébreuse, ainsi qu’une grande violence, qui choque le spectateur car elle émane d’un corps qui semble inoffensif (lorqu’il projette Nora contre le mur de la cuisine, nous voyons jusqu‘où Jorge est capable d’aller pour asseoir son autorité, enfermé dans sa fierté de mâle).
Quant à Nora, nous retrouvons « l’oiseau chanteur » qui amuse la galerie, et qui se débat dans sa petite maison (elle saute partout, est très vive dans son phrasé et ses gestes, fait sans cesse des claquettes comme si elle rejouait le numéro qu’elle donne depuis toute petite - elle était enfant « l’oiseau chanteur » de son père, et de tous les hommes de la famille - rituel qui semble la rassurer) essaies d’attirer l’attention de son mari et des invités. Mais quand elle est seule, elle s’interroge et sort de cette insouciance juvénile. Elle est à la fois consciente de sa situation (elle est la poupée de son mari) et se le dissimule à elle-même. Elle joue la comédie devant son mari qu’elle cajole mais, quad le vernis craque, est aussi capable d’être dure (drôle de paradoxe), de résister à son mari, en tout cas de survivre à ce qu’il lui fait. Ici, la singularité féministe propre à la pièce d’Ibsen ressurgit, mais elle n’est pas le ressort essentiel de la pièce, la « béquille » sur laquelle Veronese s’appuie, la porte de sortie obligée. Tout peut arriver, car Nora et Jorge sont capables de tout, peut être des choses dont nous n’avons pas conscience et qui ne sont pas inscrites dans le drame : la fin « en queue de poisson » de la représentation en est la preuve, à la fois frustrante pour le spectateur et logique dans la démarche de Veronese. Cette main de Jorge qui se pose sur celle de son épouse lorsqu’elle saisit ses clefs pour quitter le foyer dans la nuit signifie-t-elle « Non, ne pars pas, je t’en supplie » ? « Non, tu ne partiras pas, moi vivant » ? Et Nora, restera-t-elle clouée dans son salon par l’orgueil de son mari ? Arrachera-t-elle sa main de celle de Jorge en partant sans se retourner ? Il me semble que Veronese ne veut pas donner au spectateur une fin « girl power », qui héroïserait Nora et vampiriserait Jorge. Nora est capable de se soumettre une fois de plus, et son mari de devenir bon. Encore une fois tout est possible, et c’est là qu’est le tragique : après tout ce qu’elle a du subir, cet horizon libéré que lui promettent Ibsen et Veronese est menacé, et ce renoncement d’elle-même n’aura servi à rien.

Cette adaptation m’a beaucoup touchée, par la grande profondeur et justesse de Veronese quant au traitement des deux personnages principaux, qui fouille dans leur psychologie sans tomber le mélo sentimental ou le « plaquage » de schémas psychanalytiques. Les acteurs viennent au devant de nous, sans chichis, naturels et imparfaits, dans la vérité, ni idéalisée ni fatalisée. Le « développement de cette civilisation à venir » semble enclenché depuis longtemps, car on peut se voir dans les figures ambivalentes et universelles de Jorge et Nora mais aussi, de manière plus discrète, dans celle de Cristina ou de Krogstad. Ce développement est une répétition éternelle de situations communes à tous, dont on a essayé, essaie et essaiera toujours de sortir, en se confrontant aux autres et à soi même, en se faisant violence. Daniel Veronese donne une bouffée d’air à ce chef d’œuvre déjà inscrit dans la postérité : nous ne formerons jamais de familles et couples modèles, alors revoyons nos a priori à la baisse, et aimons nous.


mercredi 30 mars 2011

Piqûre de rappel : un message du 4 février republié opportunément

Sortie du 31 mars à Sartrouville Pssssssssstttttttttttt ! J'ai oublié de vous dire hier : pour la sortie du jeudi 31 mars 19h30 à Sartrouville (une variation/adaptation sur La Maison de poupée d'Ibsen par un m/s argentin), pas de car : le rdv est sur place. Organisez-vous. La pièce dure 1h15. Donc : rdv 19h15 au théâtre et sortie du théâtre vers 20h45. Raterez même pas la rediffusion de Derrrick sur TV Breizh... Pour les curieuses : http://www.theatre-sartrouville.com/index.php/les-spectacles/saison-10-11/henrik-ibsen

vendredi 25 mars 2011

Portes ouvertes samedi 2 avril : représenter l'enseignement du théâtre


J'ai oublié de vous parler hier des journées portes ouvertes du samedi 2 avril prochain.
C'est un moment important pour les options théâtre du lycée puisque les familles et les futurs élèves du Lycée ont l'occasion de les découvrir et d'en avoir une image plus fidèle à la réalité et moins entachée de préjugés, d'appréhensions ou de défiances.
Matthijs van Dooren et moi-même serons présents pour présenter les différentes options aux familles. Mais l'on tient beaucoup à ce que des élèves prennent la parole parce que leur témoignage est irremplaçable : il faudrait donc des volontaires pour venir expliquer ce que la pratique du théâtre vous apporte, en quoi cet enseignement est original et digne d'intérêt, ce que vous y avez personnellement trouvé.
Il y aura trois sessions de présentation : 9h30, 10h30, 11h30 et le mieux est de se les répartir à raison de deux ou trois élèves par session.
Merci de votre concours !

jeudi 24 mars 2011

Journal de bord du 24 mars


Nous avons commencé cette séance en évoquant les différentes dates du bac ( le 23 juin au matin ( à partir de 10 heures) la préparation du plateau, et le 24 juin : l’épreuve pratique) ainsi que la représentation de notre travail au théâtre Roger Barat le 6 juin au soir. Etant donné que la séance dernière nous avions travaillé sur le tableau des Cassandre nous en avons reparlé et fait une sorte de récapitulatif, nous avions dans l’idée de conserver ce cube noir dans lequel nous avons travaillé Cassandre depuis le début, donc de remplacer la page blanche de l’esprit de Novarina par un drap noir en faisant écho au drap rouge, fil conducteur de la mort d’Agamemnon et de Cassandre( référence à la mise en scène de Py). Nous nous sommes alors interrogés sur l’espace qui serait utiliser pour l’épisode de Cassandre, car en conservant la page blanche ainsi que la peinture, Cassandre pourrait alors peindre les visions d’horreur qu’elle voit. Cependant, depuis le début de l’année nous avions comme contrainte de ne pas sortir du cadre d’où l’idée de reconstruire la boîte noire pour Cassandre. Tout en parlant des Cassandre, nous avons parlé de l’écoute qui est capitale au théâtre car c’est elle qui connecte les comédiens entre eux, cette écoute est alors essentielle dans l’épisode de Cassandre car nous jouons toute le même personnage dans des « états » différents, par moment elle est en transe car elle voit sa mort prochaine, parle de la malédiction des Atrides et du retour d’Oreste. Il faut alors avoir une réception sensible quant à l’énergie de l’autre ainsi que du message qu’il vient délivrer, il faut que quelque chose circule entre les différents comédiens sur scène. Concernant ma partition dans Agamemnon, où je suis en binôme avec Marine, l’écoute à laquelle je dois prêter attention est celle du corps. Je suis de nature, une personne très spontanée qui parle très vite contrairement à Marine qui est très calme, nos personnalités influencent inconsciemment notre façon de jouer ce qui est problématique car l’écart entre nos deux partitions est trop grand. C’est pour cela que nous devons trouver un rythme commun qui nous permettra d’être comme en osmose, car même si nos partitions sont différentes il ne faut pas oublié que nous jouons le même personnage, nous devons alors comme dans un terrain d’entente s’écouter afin de créer une certaine unité. La question de l’écoute n’est pas seulement valable à mon échelle mais est la clé du théâtre, car celui-ci est un lieu où différentes personnes se réunissent dans un lieu commun afin de créer un travail collectif propre au groupe.






En deuxième heure, nous avons travaillé sur l’écoute grâce à l’exercice suivant : nous devions dans un premier temps, circuler dans l’espace tout au fermant les yeux et lorsque l’on rencontrait quelqu’un d’autre nous devions le toucher, non pas dans le but de reconnaître la personne mais « d’écouter » ses réactions suivant les parties du corps que l’on touche, car la sensibilité de chacun est propre à sa personne. Dans un deuxième temps, nous devions lorsque nous entrions en contact avec quelqu’un conserver ce lien qui devait durer quelques instants jusqu’à ce qu’il soit désagréable. Nous avons terminé cet exercice les yeux ouverts en se déplaçant dans l’espace tout en regardant les personnes que l’on rencontrait dans les yeux, si l’on sentait une sorte de connexion suite aux regards, nous nous arrêtions face à face tout en continuant de nous regarder. En partant de cette « situation », nous avions trois options : l’a regarder puis partir, lui serrer la main ou l’enlacer. Ce moment fut le plus difficile pour moi, car il faut être très attentif aux signes que donnent la personne qui est en face de nous, et pour cela il faut être très concentré et être à l’écoute car elle n’est plus auditive mais corporelle. Afin de communiquer, nous utilisons la parole, donc ce sont les mots qui expriment ce que l’on veut ou l’on ne veut pas, cependant le langage corporel est difficile à déchiffrer car ce n’est pas notre « langage maternel » dans le sens où l’on ne l’utilise pas quotidiennement et il est très difficile de comprendre à travers les gestes.






En troisième heure, nous avons travaillé le tableau des Clytemnestre après les meurtres d’Agamemnon et Cassandre. Nous avons travaillé sur le fait qu’il fallait dessiner les mots qu’ils traversent notre bouche afin de créer une sorte de beauté extérieure de part le langage. Pour cela, nous avons fait un exercice de respiration les quatre Clytemnestre étaient allongées sur le dos alors qu’une personne été allongée perpendiculairement sur chacun de leur ventre. Les quatre Clytemnestre devaient alors dire leur texte en respirant par le ventre, si elles réussissaient la fille allongée sur leur ventre devait se surélever. Si l’on a travaillé la respiration c’est pour que l’on puisse parler la langue d’Eschyle en respectant la ponctuation, parce que le problème avec cette langue est qu’elle est lente et qu’en fin de vers nous devons transmettre le relais à la personne qui nous suit et que c’est pour cela que nous devons tenir jusqu’au dernier mot et ne pas descendre dans notre déclamation. Le but de cet exercice était de travailler sur l’unité de parole dans un groupe de personne jouant le même personnage, en évitant d’attirer l’attention sur la transition du biais de parole mais plutôt de mettre en avant le texte (ce qui est dit)






Cette séance nous a permis de travailler en groupe, car même si notre partition est personnelle nous devons sans cesse être en connexion avec les personnes qui nous entourent. Cette séance m’a aidé à me rendre compte de mes difficultés concernant la lenteur qui était à la base personnelle mais qui à présent touche le groupe. Cependant le fait que l’on doit transmettre une énergie bénéfique à tout le groupe, nous permet de nous dépasser et outrepasser nos difficultés, suite à cette prise de conscience collective je pense que nos barrières ainsi que ce qui nous freinait auparavant vont faillir sous le poids de l’écoute ainsi que du soutien que le groupe se porte mutuellement.


Morgane







journal de bord de la séance du 24Mars

Pour ma part ce qui a été le plus difficile a été l'exercice de respiration, en effet quand on parle on ne se rend pas bien compte de l'effet du trajet de notre respiration dans notre corps, or, avec Novarina nous avons pu nous rendre compte de l'importance de la respiration pour pouvoir dire son texte. Et bien, nous avons pu également remarquer que pour tout texte de théâtre la respiration tient une place très importante. Nous avons donc mis en œuvre dans l'optique d'un petit exercice notre respiration sur le texte d'Eschyle. Et j'ai pu remarquer pour ma part que la difficulté a été de pouvoir dire tous mes vers en respectant la ponctuation, qui finalement nous donne des indications de respiration. Il était difficile de pouvoir penser à sa respiration et en même temps penser au texte qui devait sortir de nos bouches. Pour pouvoir se faire une idée de la difficulté et de l'exigence que ce travail demande nous nous sommes allongées sur le sol et d'autres élèves se sont allongées perpendiculairement à nous sur notre ventre et nous avons dut réciter ou plutôt dire notre texte avec cette difficulté d'avoir comme un poids sur notre ventre qui nous empêche de parler comme on parle dans la vie de tous les jours. Cela m'a permis de me rendre compte que j'avais encore énormément de travail concernant ma partition de Clytemnestre que je pensais moins difficile à travailler que les autres. Il est intéressant de voir également que pour les filles interprétant Clytemnestre dans le même épisode que moi le travail n'est pas non plus au même point c'est à dire que certaines filles ont plus de facilitées à respirer le texte que d'autres pour qui la difficulté est plus importante, cela nous permet à toutes de bien nous rendre compte du rythme de travail à avoir et je pense ne pas avoir été la seule à me dire que cet épisode est loin d'être acquis, Mais qu'il me tarde de continuer à le travailler et d'en voir le résultat.

Penser le théâtre : "Comment représenter l'antique?" de Roland Barthes

Roland Barthes au cours des années 1960
Dans les années 1950, 1960 et 1970, Roland Barthes a été l'un des principaux animateurs de la nouvelle critique dite "structuraliste" : il a renouvelé profondément le regard critique sur la littérature dans des écrits d'une intelligence et d'une subtilité précieuses. et qui essaient de transposer sur la littérature l'exigence, la rigueur, la précision des sciences dures contre certain sentimentalisme et impressionisme. Il s'agit pour lui de considérer l'oeuvre littéraire d'abord comme un texte qui a ses lois propres, qui obéit à une "poétique", dont on peut décrire et classer les phénomènes et non plus comme l'épanchement biographique ou psychologique voire sentimental de l'auteur.
C'est devenu un essayiste incontournable - notamment pour les futures impétrantes en fac de Lettres, d'Arts du spectacle ou en Lettres Supérieures (hypokhâgne)....
Sur le théâtre, il a aussi proposé un regard critique corrosif : il a par exemple publié un Sur Racine qui a fait scandale parce qu'il s'en prenait violemment aux analyses du grand spécialiste de Racine à la prestigieuse Sorbonne. Il est l'un de ceux, avec Bernard Dort, qui ont introduit en France Brecht, son théâtre et ses théories révolutionnaires du théâtre.
Il a aussi beaucoup réfléchi à la tragédie grecque : avec des camarades, du temps qu'il était étudiant à la Sorbonne, il a monté plusieurs tragédies grecques en tentant d'en renouveler l'approche et les principes de mise en scène.
Dans l'article qui suit, il fait la critique de la mise en scène de Jean Louis Barrault de l'Orestie d'Eschyle, que vous connaissez.
Mais comme toujours chez Roland Barthes, l'exercice critique (féroce) est aussi l'occasion de théoriser (répertorier, classifier, identifier) les problèmes que posent la mise en scène d'une tragédie grecque aujourd'hui, d'écarter certaines réponses - comme celle de Barrault - et d'en esquisser d'autres. Le texte est long, un peu ardu, mais il vaut le détour si vous voulez clarifier les questions que nous posent Agamemnon et faire savante au bac. Citer Barthes : quel chic !!
J'en profite pour vous signaler que vous trouverez au lien suivant une série de textes passionnants de Barthes extrait d'un recueil fameux d'Essais critiques : http://ae-lib.org.ua/texts/barthes__essais_critiques__fr.htm
PS : Barthes est aussi l'auteur d'un très beau livre sur la photographie La Chambre claire, et d'un livre culte sur l'amour : Fragments d'un discours amoureux. A lire d'urgence !

COMMENT REPRÉSENTER L'ANTIQUE

Chaque fois que nous, hommes modernes, nous devons représenter une tragédie antique, nous nous trouvons devant les mêmes problèmes, et chaque fois nous apportons à les résoudre la même bonne volonté et la même incertitude, le même respect et la même confusion. Toutes les représentations de théâtre antique que j'ai vues, à commencer par celles-là mêmes où j'ai eu ma part de responsabilité comme étudiant, témoignaient de la même irrésolution, de la même impuissance à prendre parti entre des exigences contraires.

C'est qu'en fait, conscients ou non, nous n'arrivons jamais à nous dépêtrer d'un dilemme : faut-il jouer le théâtre antique comme de son temps ou comme du nôtre? faut-il reconstituer ou transposer? faire ressentir des ressemblances ou des différences? Nous allons toujours d'un parti à l'autre sans jamais choisir nettement, bien intentionnés et brouillons, soucieux tantôt de revigorer le spectacle par une fidélité intempestive à telle exigence que nous jugeons archéologique, tantôt de le sublimer par des effets esthétiques modernes, propres, pensons-nous, à montrer la qualité éternelle de ce théâtre. Le résultat de ces compromis est toujours décevant : de ce théâtre antique reconstitué, nous ne savons jamais que penser. Cela nous concerne-t-il? Comment? En quoi? La représentation ne nous aide jamais à répondre nettement à ces questions.

L'Orestie de Barrault(1) témoigne une fois de plus de la même confusion. Styles, desseins, arts, partis, esthétiques et raisons se mélangent ici à l'extrême, et en dépit d'un travail visiblement considérable et de certaines réussites partielles, nous n'arrivons [71] pas à savoir pourquoi Barrault s monté L'Orestie : le spectacle n'est pas justifié.

1. Représentations du Théâtre Marigny.

Sans doute Barrault a-t-il professé (sinon accompli) une idée générale de son spectacle : il s'agissait pour lui de rompre avec la tradition académique et d'arriver à replacer L'Orestie, sinon dans une histoire, du moins dans un exotisme. Transformer la tragédie grecque en fête nègre, retrouver ce qu'elle a pu contenir au Ve siècle même d'irrationnel et de panique, la débarrasser de la fausse pompe classique pour lui réinventer une nature rituelle, faire apparaître en elle les germes d'un théâtre de la transe, tout cela qui provient d'ailleurs beaucoup plus d'Artaud que d'une connaissance exacte du théâtre grec, tout cela pouvait très bien s'admettre pourvu qu'on l'accomplît réellement, sans concession. Or, ici même, le pari n'a pas été tenu : la fête nègre est timide.

D'abord, l'exotisme est loin d'être continu : il y a seulement trois moments où il est explicite : la prédiction de Cassandre, l'invocation rituelle à Agamemnon, la ronde des Erinnyes. Tout le reste de la tragédie est occupé par un art totalement rhétorique : aucune unité entre l'intention panique de ces scènes et les effets de voile de Marie Bell. De telles ruptures sont insupportables, car elles rejettent immanquablement le dessein dramaturgique au rang d'accessoire pittoresque : le nègre devient décoratif. L'exotisme était un parti probablement faux, mais qui du moins pouvait être sauvé par son efficacité : sa seule justification eût été de transformer physiquement le spectateur, de l'incommoder, de le fasciner, de le « charmer ». Or, ici, rien de tel : nous restons froids, un peu ironiques, incapables de croire à une panique partielle, immunisée au préalable par l'art des acteurs « psycholo-logiques ». Il fallait choisir : ou la fête nègre, ou Marie Bell. A vouloir jouer sur les deux tableaux (Marie Bell pour la critique humaniste et la fête nègre pour l'avant-garde), il était fatal de perdre un peu partout.

Et puis cet exotisme est en soi trop timide. On comprend l'intention de Barrault dans la scène de magie où Electre et Oreste somment leur père mort de répondre. L'effet reste pourtant très maigre. C'est que si l'on se mêle d'accomplir un théâtre de la participation, il faut le faire complètementrici, les siffles ne suffisent [72] plus : il y faut un engagement physique des acteurs ; or, cet engagement, l'art traditionnel leur a appris à l'imiter, non à le vivre; et comme ces signes sont usés, compromis dans mille divertissements plastiques antérieurs, nous n'y croyons pas : quelques tournoiements, une diction rythmée à contretemps, des coups contre le sol ne suffisent pas à nous imposer la présence d'une magie.

Rien n'est plus pénible qu'une participation qui ne prend pas. Et l'on s'étonne que les défenseurs acharnés de cette forme de théâtre soient si timides, si peu inventifs, si apeurés, pourrait-on dire, au moment où ils tiennent enfin l'occasion d'accomplir ce théâtre physique, ce théâtre total dont on nous a fait un véritable casse-tête. Puisque Barrault avait pris le parti, contestable mais au moins rigoureux, de la fête nègre, il aurait fallu l'exploiter à fond. N'importe quelle session de jazz, Carmen chantée par des Noirs, lui auraient donné l'exemple de ce qu'est cette présence somtnatoire de l'acteur, cette agression du spectacle, cette sorte d'épanouissement viscéral auxquels son Orestie donne un trop maigre reflet. N'est pas nègre qui veut.

Cette confusion des styles, on la retrouve dans les costumes. Temporellement, L'Orestie comprend trois plans : l'époque supposée du mythe, l'époque d'Eschyle, l'époque du spectateur. Il fallait choisir l'un de ces trois plans de référence et s'y tenir, car, nous le verrons à l'instant, notre seul rapport possible à la tragédie grecque est dans la conscience que nous pouvons avoir de sa situation historique. Or les costumes de Marie-Hélène Dasté, dont certains sont plastiquement très beaux, contiennent ces trois styles mélangés au petit bonheur. Agamemnon, Qytem-nestre sont habillés à la barbare, engagent la tragédie dans une signification archaïque, minoènne, ce qui serait parfaitement légitime si le parti était général. Mais voici qu'Oreste, Electre, Apollon viennent rapidement contrarier ce choix : eux sont des Grecs du v(6) siècle, ils introduisent dans le gigantisme monstrueux des vêtements primitifs, la grâce, la mesure, l'humanité simple et sobre des silhouettes de la Grèce classique. Enfin, comme trop souvent au Marigny, la scène se trouve parfois envahie par le maniérisme luxueux, la plastique « grand couturier » de nos théâtres bien parisiens : Cassandre est tout en plissés intemporels, l'antre [73] des Atiides est barré par une moquette sortie tout droit de chez Hermès (la boutique, non le dieu), et dans l'apothéose finale, une Pallas toute enfarinée surgit d'un bleu sucré, fondant, comme aux Folies-Bergère.

Ce mélange naïf de Crète et de Faubourg Saint-Honoré contribue beaucoup à perdre la cause de L'Orestit : le spectateur ne sait plus ce qu'il voit : il lui semble être devant une tragédie abstraite (parce que visuellement composite), il est confirmé dans une tendance qui ne lui est que trop naturelle : refuser une compréhension rigoureusement historique de l'œuvre représentée. L'esthétisme joue ici, une fois de plus, comme un alibi, il couvre une irresponsabilité : c'est d'ailleurs si constant chez Barrault que l'on pourrait appeler toute beauté gratuite des costumes le style Marigny. Ceci était déjà sensible dans la Bérénict de Barrault, qui n'avait pas été cependant jusqu'à habiller Pyrrhus en Romain, Titus en marquis de Louis XIV et Bérénice en drapé de chez Fath : c'est pourtant l'équivalent de ce mélange que nous donne L'Orestit.

La disjonction des styles atteint aussi gravement le jeu des acteurs. On pouvait penser que ce jeu aurait au moins l'unité de l'erreur; même pas : chacun dit le texte à sa guise, sans se soucier du style du voisin. Robert Vidalin joue Agamemnon selon la tradition désormais caricaturale du Théâtre-Français : sa place serait plutôt dans quelque parodie menée par René Clair. A l'opposé, Barrault pratique une sorte de « naturel », hérité des rôles rapides de la comédie classique; mais à force de vouloir éviter l'emphase traditionnelle, son rôle s'amenuise, devient tout plat, tout frêle, insignifiant : écrasé par l'erreur de ses camarades, il n'a pas su leur opposer une dureté tragique élémentaire.

A côté, Marie Bell joue Clytemnestre comme du Racine ou du Bernstein (de loin, c'est un peu la même chose). Le poids de cette tragédie millénaire ne lui a pas fait abandonner le moins du monde sa rhétorique personnelle; il s'agit à chaque instant d'un art dramatique de l'intention, du geste et du regard lourds de sens, du secret signifié, art propre à jouer tout théâtre de la scène conjugale et de l'adultère bourgeois, mais qui introduit dans la tragédie une rouerie, et pour tout dire une vulgarité, qui lui sont totalement anachroniques. C'est précisément ici que le malentendu général de [74] l'interprétation devient le plus gênant, car il s'agit d'une erreur plus subtile : il est vrai que les personnages tragiques manifestent des « sentiments »; mais ces « sentiments » (orgueil, jalousie, rancune, indignation) ne sont nullement psychologiques, au sens moderne du mot. Ce ne sont pas des passions individualistes, nées dans la solitude d'un cœur romantique; l'orgueil n'est pas ici un péché, un mal merveilleux et compliqué; c'est une faute contre la cité, c'est une démesure politique; la rancune n'est jamais que l'expression d'un droit ancien, celui de la vendetta, cependant que l'indignation n'est jamais que la revendication oratoire d'un droit nouveau, l'accession du peuple au jugement réprobateur des anciennes lois. Ce contexte politique des passions héroïques en commande toute l'interprétation. L'art psychologique est d'abord un art du secret, de k chose à la fois cachée et confessée, car il est dans les habitudes de l'idéologie essentialiste de représenter l'individu comme habité à son insu par ses passions : d'où un art dramatique traditionnel qui consiste à faire voir au spectateur une intériorité ravagée sans pourtant que le personnage en laisse deviner la conscience; cette sorte as jeu (au sens à la fois d'inadéquation et de tricherie) fonde un art dramatique de la nuance, c'est-à-dire en fait d'une disjonction spécieuse entre la lettre et l'esprit du personnage, entre sa parole-sujet et sa passion-objet. L'art tragique, au contraire, est fondé sur une parole absolument littérale : la passion n'y a aucune épaisseur intérieure, elle est entièrement extravertie, tournée vers son contexte civique. Jamais un personnage « psychologique » ne dira : « Je suis orgueilleux » ; Clytemnestre, elle, le dit, et toute la différence est là. Aussi rien n'est plus surprenant, rien ne signifie mieux l'erreur fondamentale de l'interprétation, que d'entendre Marie Bell proclamer dans le texte une passion dont toute sa manière personnelle, dressée par la pratique de centaines de pièces « psychologiques », manière retorse et « comédienne », dément l'extériorité sans ombre et sans profondeur. Seule Marguerite Jamois (Cassandre) me paraît avoir approché cet art du constat que nous aurions souhaité voir s'étendre à toute k tragédie : elle voit et dit, elle dit ce qu'elle voit, un point c'est tout.

Oui, la tragédie est un art du constat, et c'est précisément tout ce qui contredit à cette constitution qui devient vite intolérâble. [75] Claudel l'avait bien vu, qui réclamait pour le choeur tragique une immobilité têtue, presque liturgique. Dans sa préface à cette même Orestie, il demande que l'on place les choreutes dans des stalles, qu'on les asseye d'un bout du spectacle à l'autre, et que chacun ait devant lui un lutrin où il lira sa partition. Sans doute cette mise en scène-là est-elle en contradiction avec la vérité « archéologique », puisque nous savons que le chœur dansait. Mais comme ces danses nous sont mal connues, et comme de plus, même bien restituées, elles n'auraient pas sur nous le même effet qu'au ve siècle, il faut absolument trouver des équivalences. En restituant au chœur, à travers une correspondance liturgique occidentale, sa fonction de commentateur littéral, en exprimant la nature massive de ses interventions, en lui donnant d'une façon explicite les attributs modernes de la sagesse (le siège et le pupitre), et en retrouvant son caractère profondément épique de récitant, la solution de Claudel paraît être la seule qui puisse rendre compte de la situation du chœur tragique. Pourquoi n'a-t-on jamais essayé ?

Barrault a voulu un chœur « dynamique », « naturel », mais en fait ce parti témoigne du même flottement que le reste de la représentation. Cette confusion est encore plus grave ici, car le chœur est le noyau dur de la tragédie : sa fonction doit être d'une évidence indiscutable, il faut que tout en lui, parole, vêtement, situation, soit d'un seul bloc et d'un seul effet; enfin, s'il est « populaire », sentencieux et prosaïque, il ne peut s'agir à aucun moment d'une naïveté « naturelle », psychologique, individualisée, pittoresque. Le chœur doit rester un organisme surprenant, il faut qu'il étonne et dépayse. Ce n'est certes pas le cas du chœur au Marigny : on y retrouve deux défauts contraires, mais qui passent tous deux au delà de la vraie solution : l'emphase et le « naturel ». Tantôt les choreutes évoluent selon de vagues dessins symétriques, comme dans une fête de gymnastique (on ne dira jamais asse2 les ravages de l'esthétique Poupard dans la tragédie grecque); tantôt ils cherchent des attitudes réalistes, familières, jouent à l'anarchie savante des mouvements; tantôt ils déclament comme des pasteurs en chaire, tantôt ils prennent le ton de la conversation. Cette confusion des styles installe sur le théâtre une faute qui ne pardonne pas : l'irresponsabilité. Cette sorte d'état velléitaire du [76] chœur paraît encore plus évident, sinon dans la nature, du moins dans la disposition du substrat musical : on a l'impression d'innombrables coupures, d'une mutilation incessante qui coupe le concours de la musique, la réduit à quelques échantillons montrés à la sauvette, d'une façon presque coupable : il devient difficile dans ces conditions de k juger. Mais ce que l'on peut en dire, c'est que nous ne savons pas pourquoi elle est là et quelle est l'idée qui en a guidé k distribution.

UOrestie de Barrault est donc un spectacle ambigu où l'on retrouve, d'ailleurs seulement à l'état d'ébauches, des options contradictoires. Il reste donc à dire pourquoi la confusion est ici plus grave qu'ailleurs : c'est parce qu'elle contredit le seul rapport qu'il nous soit possible d'avoir aujourd'hui avec la tragédie antique, et qui est la clarté. Représenter en 1955 une tragédie d'Eschyle n'a de sens que si nous sommes décidés à répondre clairement à ces deux questions : qu'était exactement UOrestie pour les contemporains d'Eschyle? Qu'avons-nous à faire, nous, hommes du xx* siècle, avec le sens antique de l'œuvre ?

A k première question, plusieurs écrits aident à répondre : d'abord l'excellente introduction de Paul Mazon à sa traduction de la Collection Guillaume Budé; puis, sur le plan d'une sociologie plus large, les livres de Bachofen, d'Engels et de Thomson (2). Replacée à son époque, et en dépit de la position politique modérée d'Eschyle lui-même, UOrestie était incontestablement une œuvre progressiste; elle témoignait du passage de k société matriarcale, représentée par les Êrinnyes, à la société patriarcale, représentée par Apollon et Athéna. Ce n'est pas le lieu ici de développer ces thèses, qui ont bénéficié d'une explication largement socialisée. Il suffit de se convaincre que UOrestie est une œuvre profondément politisée : elle est l'exemple même du rapport qui peut unir une structure historique précise et un mythe particulier^. Que d'autres s'exercent, s'ils veulent, à y découvrir une problématique éternelle du Mal et du Jugement; cela n'empêchera jamais que UOrestie soit avant tout l'œuvre d'une époque précise, d'un état social défini et d'un débat moral contingent.

2. Bachofen, L* Droit maternel (1861); Engels, UOrigne dt la Famille, de la Propriété privée et de l'État (4* édition, 1891); George Thomson, fèicbylus and Athens (1941). [77]

Et c'est précisément cet éclaircissement qui nous permet de répondre à la seconde question : notre rapport à L'Orestit, à nous, hommes de 19)5, c'est l'évidence même de sa particularité. Près de vingt-cinq siècles nous séparent de cette œuvre : le passage du matriarcat au patriarcat, la substitution de dieux nouveaux aux dieux anciens et de l'arbitrage au talion, rien de tout cela ne fait plus guère partie de notre histoire; et c'est en raison de cette altérité flagrante que nous pouvons juger d'un regard critique un état idéologique et social où nous n'avons plus part et qui nous apparaît désormais objectivement dans tout son éloignement. UOrestie nous dit ce que les hommes d'alors essayaient de dépasser, l'obscurantisme qu'ils tentaient peu à peu d'éclaircir; mais elle nous dit en même temps que ces efforts sont pour nous anachroniques, et que les dieux nouveaux qu'elle voulait introniser sont des dieux que nous avons à notre tour vaincus. Il y a une marche de l'histoire, une levée difficile mais incontestable des hypothèques de la barbarie, l'assurance progressive que l'homme tient en lui seul le remède de ses maux, dont nous devons sans cesse nous rendre conscients parce que c'est en voyant k marche parcourue que l'on prend courage et espoir pour toute celle qui reste encore à parcourir.

C'est donc en donnant à L'Oresfie son exacte figure, je ne dis pas archéologique, mais historique, que nous manifesterons le lien qui nous unit à cette œuvre. Représentée dans sa particularité, dans son aspect monolithique, progressif par rapport à son propre passé, mais barbare par rapport à notre présent, la tragédie antique nous concerne dans la mesure où elle nous donne à comprendre clairement, par tous les prestiges du théâtre, que l'histoire est plastique, fluide, au service des hommes, pour peu qu'ils veuillent bien s'en rendre maîtres en toute lucidité. Saisir la spécificité historique de UOrestie, son originalité exacte, c'est pour nous la seule façon d'en faire un usage dynamique, doué de responsabilité.

C'est pour cela que nous récusons une mise en scène confuse, où les options, timides et partiellement honorées, tantôt archéologiques et tantôt esthétiques, tantôt essentialistes (un débat moral éternel) et tantôt exotiques (k fête nègre) concourent finalement toutes, dans leur va-et-vient brouillon, à nous ôter le sentiment d'une œuvre claire, définie dans et par l'histoire, lointaine comme un passé qui a été le nôtre, mais dont nous ne voulons plus. Nous demandons qu'à chaque coup et d'où qu'il vienne, le théâtre nous dise le mot d'Agamemnon :

« Les liens si dénouent, le remède existe. »

1955, Théâtre populaire.




lundi 21 mars 2011

Message à caractère urgent, informatif et prescriptif : Séance de mercredi 23 mars et nouveau planning

Dominique Pinon, acteur novarinien par excellence, c'est-à-dire "nul et parfait"

Mon absence de mercredi dernier pour cause de réunion importante sur l'enseignement du théâtre m'oblige à décaler le planning selon le calendrier ci-dessous.
Mercredi, il faut absolument apporter la brochure Novarina mais aussi la brochure Agamemnon et le sujet de BB (pour la correction).
J'en profite pour vous informer que le jury de bac viendra évaluer l'épreuve de pratique du plateau le vendredi 24 juin toute la journée.
L'écrit, c'est le mercredi 22 juin
Prévoyez aussi d'être au lycée le jeudi 23 juin pour faire les mises et régler les lumières et faire un dernier filage avec Marc et moi.


TL 10 11

Novarina L'Acte inconnu et Devant la parole

Plan de séquence

Mercredi 23 mars

Correction du bac blanc : sujet sur les costumes dans Agamemnon.

Introduction à Novarina : projection d'extraits du DVD et analyse collective : biographie et « origines » => les principaux principes de la théâtralité novarinienne

Mercredi 30 mars

Exposé La scénographie de L'Acte inconnu dans la Cour d'honneur du Palais des Papes par Amanda et Alice

Exposé L'ouvrier du drame et les objets dans L'Acte inconnu par Margot et Agnès

Mercredi 6 avril

Exposé "Sacré Nono !" : Novarina et le sacré par Clémence, Camille et Elodie

Mercredi 27 avril

Exposé Le personnage de Raymond de la Matière par Charlène et Nataly

Mercredi 4 mai STAGE

Mercredi 11 mai

Exposé Les Chantres : parcours et représentation scénique par Cynthia et Marine

Mercredi 18 mai

Exposé Les Machines à... par Assia et Morgane

Mercredi 25 mai

DS type bac sur Novarina

Mercredi 1er juin

Correction DS Novarina

Mercredi 8 juin

Dernière séance : programme à définir


jeudi 17 mars 2011

Journal de bord du 17/03:

Nous avons commencé cette séance en parlant de la mise en place du drap, comment celle-ci doit être soignée car nous manipulons un objet sacré. Ce début devrait s'apparenter à un croisement entre la concentration de l'athlète et la préparation de la toile par l'artiste. Cette installation précautionneuse devrait de plus intriguer le spectateur.

Nous avons ensuite abordé le sujet des trous de mémoires et perte de moyens, en quoi cela est un bon signe à condition que ce ne soit pas un défaut d'apprentissage du texte: c'est le signe de la prise de risque et de l'immersion dans le personnage et dans le jeu. Seulement il faut jouer avec ces accidents car dans ce cas ce sont souvent les plus jolis moments, c'est un risque supplémentaire mais c'est à ce moment que le comédien est le moins « faux ». Mais ces accidents (entre autres) doivent nous permettre d'avancer, de trouver de nouvelles propositions et de les réinventer.

Nous nous sommes ensuite questionné sur la suite de notre travaille: Comment amener l'Illusion Comique? Quelle(s) partie(s) jouer? Nous avons pensé à l'éloge du théâtre faite par Alcandre mais surtout au personnage de Matamore, en effet celui-ci fait écho aux deux autres pièces en plusieurs points.

  • Comme Clytemnestre, c'est un personnage qui manipule par le langage, ce sont tout deux des menteurs (acteurs?). Cette dimension du langage rejoint également l'écriture de Novarina: quand le nom d'un objet est prononcé il n'a pas besoin d'apparaître, il existe par le langage.

  • Matamore est également un personnage si décalé et proche du cirque et du clownesque qu'il peut s'apparenter à un personnage novarinien, son univers est imaginaire et n'existe que par les mots. Nous avons pensé que Matamore pourrait se mêler aux personnages de Novarina. Mais dans ce cas Matamore se fondrait-il à l'Acte Inconnu ou le traverserait-il? (->Pour cela il faut relire les passages de Matamore, penser aux moments que l'on veut jouer et où peut-on les placer dans Novarina)

Nous avons ensuite repris notre travaille avec Agamemnon en commençant par les Cassandre, en en rappelant les contraintes: entrée seule et discrète, découverte de l'espace, opérer une trajectoire et aller jusqu'au bout des mouvements engagés, le texte guide le corps.

Lors de la séance précédente, avec ces contraintes nous avons prit un énorme tournant dans la proposition où nous pataugions auparavant. Le fait de jouer seules renforce paradoxalement notre unité. Je crois que cette proposition traduit bien la solitude mais aussi la sorte de schizophrénie de Cassandre. Ou en tout cas la folie désespérée qui la gagne aux vues de la fatalité: elle va être sacrifier, elle le sait et pire encore, n'y peut rien. Et bien que cela m'ait effrayé c'est finalement ainsi que j'ai eus le sentiment d'être non seulement au bon endroit de recherche mais également à ma place. Cependant les conditions réelles de représentation ne seront pas les mêmes et il est clair que le cube noir et les lumières faibles contribuent énormément à cette avancée. De plus je trouve qu'après le grand pas que nous avons fait il n'est pas évident de faire évoluer la proposition mais peut être que cette évolution peut passer par plus d'écoute entre nous six. Et, pour ma part, engager et laisser aller le corps davantage.

Ensuite nous somme passé à l'épisode de Clytemnestre après le meurtre. Il me semble qu'il faudrait essayer de l'aborder avec plus de précision, tenter de se rapprocher de la stature de la reine victorieuse qu'elle est, même si le tableau produit marche déjà.

Journal de bord du Jeudi 17 Mars.

Etienne Revault "Corde en tête" 1991

Le travail sur le personnage de Cassandre:

Lors de cette séance, nous avons enfin travaillé sur le personnage de Cassandre, qui demeurait pour nous un mystère, tant nous avions du mal à nous imprégner du personnage. Nous sommes donc restées environ une heure sur le plateau, plongées dans la pénombre, à jouer. Nous avions au départ pensé à former un tout, car le personnage de Cassandre nous paraissait devoir être joué de manière unifiée, en groupe pour ne former qu'un seul et même corps. L'idée de briser cette unité nous paraissait vouloir dire briser le personnage et le diviser en plusieurs, soit perdre sa force. Mais on s'est rendu compte en réalité que la force de ce personnage était justement sa multiplicité (largement involontaire) notamment due à son emprise par les Dieux (Apollon) et donc son enfermement dans cette folie qui l'habite. Ainsi nous avons essayé pour la première fois d'être chacune enfermée dans cette terreur qui caractérise le personnage, et de jouer à distance les unes des autres. Nous devions nous fondre dans la pénombre en étant contre les rideaux de façon à ne laisser apparaître que nos têtes en contraste et réagir aux paroles des autres Cassandre. L'attention demandée est d'autant plus grande qu'il nous a fallu écouter avec une attention extrême les autres Cassandre, jusqu'à leur respiration, et s'entraîner à être le plus possible en symbiose, en fusion, afin de ne faire plus qu'un avec nos différentes particularités. Nous fonctionnons par "couple" de Cassandre et enchaînons des petites parties de textes les unes après les autres, j'ai été assez surprise du résultat de cette expérience, je suis en couple avec Agnès et nous étions tellement concentrées l'une sur l'autre, et tellement enfermées dans la folie du personnage que nous avons eu la même réaction. Nos gestes ont commencé à être assez similaires, nous étions chacune contre un rideau et nous nous sommes tournées vers le centre de la scène de la même manière, en nous écoutant, nous nous complétions tellement que nous agissions de la même façon.
Le fait de s'entraîner, d'écouter à plusieurs reprises le texte de chacune d'entre nous nous a permis de rentrer dans le personnage beaucoup mieux que si on pratiquait seule. Le personnage est défini par sa folie, et cette folie est accessible de manière bien plus évidente si l'on travaille ensemble. Je pense que la pénombre, notre présence à toutes et l'assemblage du texte nous a permis d'entrer dans l'isolement du personnage, toutes ensemble, par la compréhension et l'adhésion au texte de chacune d'entre nous. C'est une Cassandre mise à nue et aveuglée par ses visions qui s'est dégagée de notre interprétation. Elle est enchaînée à ses souvenirs terribles de la destruction de Troie, puis à ses visions imposées par Apollon, et enfin par sa peur et son désespoir. C'est le cheminement des états de Cassandre et l'image choisie (ci-dessus) la représente bien selon moi. Elle se met à nu, en se confiant, en dévoilant toutes ses visions, toute son histoire, mais reste enchaînée, vouée à son destin.
Jane
Comme à notre habitude nous avons parlé en cercle à la première heure des problèmes administratifs ou encore les journaux de bord. A retenir: lorsque l'on installe la bâche c'est comme si c'était la page blanche dont Novarina parle; c'est comme un rituel, on doit en prendre grand soin, jusqu'à faire attention au son produit.
Par ailleurs nous avons parlé de la maîtrise de soi lors des « accidents », du à un changement de contrainte (comme pour les Cassandre) : c’est ce moment là qui est le plus intéressant, tant pour le spectateur que pour l’acteur. « Au théâtre on prend des risques mais pas de dangers ». Malgré la peur il faut prendre du plaisir. Tout le monde connaît le texte mais tout dépend de l’interprétation que l’on en fait. Novarina dit que le texte doit être « sur-su », pour ainsi savoir inventer et réinventer, ne pas refaire les mêmes choses, mais créer, proposer, il faut aller jusqu’au bout des propositions, gestes, mouvements… Le public doit être émerveillé mais il faut aussi se découvrir soi-même.
Nous avons ensuite évoqué la question de l’insertion de Matamore et de la fin de la représentation. Ne pas oublier que Matamore n’existe que dans le langage (Rapprochement avec les Machines de Novarina ?..). On ne cherche pas une cohérence narrative mais dramaturgique ; il faut qu’il y ait un sens. Après l’émotion forte des spectateurs, suite au dernier épisode (Clytemnestre et Egisthe), nous pourrions nous relever (et on entendrai l’éloge du théâtre faîte par Alcandre), c’est alors que l’on participera à « l’Illusion Comique », le spectateur croit à ce qu’il voit puis éprouve la même sensation que Pridamant quand Clindor, qu’il croyait mort, se relève.
En deuxième et troisième heure nous avons travaillé les Cassandre et Clytemnestre et les cadavres sur le plateau.
En plus des contraintes précédentes, (à savoir faire une entrée seule et discrète, effectuer une trajectoire dans l’espace, laisser son corps guidé par le texte et aller au bout de ce que l’on a amorcé), nous en avons pris une nouvelle pour les Cassandre : il faut pouvoir se dire que l’on va mourir dans un quart d’heure en quelque sorte. Pour ma part cela m’a beaucoup aidé, j’ai bien senti en moi cette émotion horrible, savoir qu’au bout du couloir c’est la mort, être condamnée, cette angoisse pesante, mais inutile, car il ne sert a rien de fuir... Je trouve que cet épisode est de mieux en mieux ! Tant pour moi que pour l’ensemble des six filles, nous nous laissons plus guider par le texte et nous sommes bien plus à l’écoute les unes des autres, même si évidemment nous pouvons encore faire mieux. Je pense aussi que la question de la transe est à revoir, à approfondir, il faut vraiment aller au bout des mouvements et assumer tous les gestes et enfin arriver à montrer aux spectateurs que l’on a des visions…
Pour finir je trouve aussi que l’épisode de Clytemnestre et des cadavres est bien mieux ; même si la musique est forte en émotions il faut savoir être au dessus, et ne jamais oublier de ne pas se pencher mais toujours rester droite ; Clytemnestre est une reine, presque une déesse (fille de Zeus), elle doit donc rester forte et garder une certaine dignité, et ce malgré le crime accompli, il doit être assumé.
Agnès

lundi 14 mars 2011

Abandonner Odette, laisser Odile prendre toute la place...


Un petit message pour vos parler d'un film qui m'a complètement retourné : au titre vous avez deviné que c'est du bouleversant Black Swan dont il est question.
Si vous ne l'avez pas déjà vu, courrez, vite vite ! C'est un film clef pour nous à mon avis. Mis à part le fait que c'est un chef d'oeuvre, Nathalie Portman nous donne une magistrale leçon d'art, d’interprétation. Plus le film progresse, plus cette phrase me taraudait : "Il faut mourrir avant de monter sur scène." C'est Sir Nono qui disait celà il me semble. Jusqu'à présent cette phrase, je la comprenais (et vous aussi j'en suis sure !) mais avait un peu de mal à la vivre, c'est normal, nous sommes encore toute assez jeunes ! Dans ce film, c'est évident. Elle s'effrite petit à petit, elle s'oublie, Odette et Odile se battent bec et ongle. C'est Odile qui doit habiter Nina (le nom de son personnage), et non le contraire. Je ne voudrais pas vous révelez la fin, donc allez le voir, et la fin est pour moi évidente, quoique intolérable pour nous jeunes théâtreuses (mais c'est en celà qu'il est beau!). Il n'est pas question pour nous d'atteindre les extrêmes du film, néanmoins nous devons oublier cette enveloppe qui nous empêche de crier, de grogner, de ramper, d'aboyer, de gémir, de voler ! que sais-je.. Nous sommes déjà dans cette phase de travail depuis longtemps, très avancée pour la plupart d'entre nous, que ce soit pour Novarina et Eschyle, mais ce film nous incite à l'humilité et à l'abandon : nous ne faisons pas de l'art, mais c'est l'art qui nous fait. Si nous sommes trop imperméables à lui (comme les plumes d'un cygne!), tout sonne creux.
Tout est mort.
Je suis parfaitement en accord avec ce que dit Margot.
J'ai moi-même vu le film, et pour ma part j'en fais un grand rapprochement avec le personnage de Cassandre.
Nina (Natalie Portman) désire plus que tout obtenir le rôle du "Swan Queen", incarner à la fois le cygne blanc et le cygne noir. Elle veut être parfaite, mais cette obsession la conduit à la folie et à faire beaucoup d'imprudences.
C'est dans la très bonne interprétation de Natalie Portman que nous (les Cassandre) pourrions aller chercher. Cela m'a beaucoup apporté. On voit la folie dans ses expressions, sur son visage, elle voit des choses que les autres ne peuvent partager, elle s'imagine des scènes, elle a des apparitions...
Dans mon texte je le repporte par exemple au "Ces portes, je les appelle les portes de l'enfer", il n'y a que Cassandre qui voit ces portes; ou encore lorsque Nina essaye d'enlever le sang de ses mains (sang qu'elle est seule à voir encore): "Je souhaite un coup qui frappe là où il faut pour que, sans convulsions, coule au dehors de moi le sang qui fait si bien mourir"..

C'est une bonne chose que de vous conseiller d'aller voir le film, même si certaines pourraient parfaitement ne pas aimer (intrigue ou autre), au moins allez-y pour le jeu de la comédienne (oscar de la meilleure actrice 2011 !).
Agnès

jeudi 3 mars 2011

Extrait d'Analyse - Dealing with Clair, par Sylvain Maurice.

Le metteur en scène Sylvain Maurice crée, met en scène, aujourd’hui la pièce Dealing with Clair (Claire en affaires) d’après un texte inédit de l’auteur londonien, Martin Crimp. En effet, cette pièce était jusqu’ici inédite en France, elle n’avait jamais été joué auparavant, bien que Crimp l’ai écrite en 1988, à la fin des années Thatcher : elle est donc crée dans un contexte historique bien précis. Cette pièce de Crimp s’inscrit dans une dramaturgie au premier abord classique, mais qui au final laisse apparaître des personnages plus qu’étranges et même inquiétants. Il s’agit d’un couple de jeune londonien qui vend sa maison par l’intermédiaire de Claire, agent immobilière, à un riche et élégant acquéreur, James. Or, derrière cette banale opération immobilière entre bourgeois, se cache le mal, la cruauté, l’hypocrisie et certaine perversité. Le texte de Crimp, joue sur l’intrigue et la « montée en tension » de l’action : il dévoile certains aspects de la société. Ainsi, nous pouvons nous demander comment Sylvain Maurice a-t-il mis en scène Dealing with Clair aujourd’hui, dans quel but, et quels sont ses partis-pris ?

La situation principale de la pièce, « l’intrigue » si l’on peut dire, est une situation des plus banales. Mike et Liz forment un jeune couple, semblant épanoui et tout à fait gentil, qui vend leur maison par le biais d’un agent immobilier. Rien donc de plus quotidien que cette situation. Même le décor, plutôt simple et élégant, est très réaliste et témoigne justement de cette « banalité ». Au cours de la pièce, il y a en fait deux changements concrets de décors : avec l’appartement de Claire et celui du jeune couple. L’appartement de Claire apparaît comme un espace sombre, petit, et froid, on ne voit en fait que la façade extérieure de celui-ci (descendant des cintres), qui est fait de briques, et on aperçoit la propriétaire des le début de la pièce par sa fenêtre. A plusieurs reprise le spectateur entend notamment le bruit d’un train, car Claire vit d’une voie ferrée. On entre des le départ dans le quotidien monotone qu’est celui de l’gent immobilière. En contraste avec son appartement, la maison de Mike et de Liz apparaît comme beaucoup plus spacieuse, plus chaleureuse et plus confortable. Sur scène se trouve un véritable séjour de maison, mobile, qui entre chaque scène est déplacé de sorte à ce que le spectateur le voit d’un autre angle : on peut interpréter cela comme étant représentatif de la « découverte » progressive des personnages et de leur véritable visage, qui est plus inquiétant qu’il n’y paraît. De plus Claire est une femme qui ne semble vivre que pour son travail. Elle n’a pas de temps pour l’amour. Ainsi James, riche et élégant quinquagénaire, et acheteur potentiel de la maison du couple, va peu à peu charmer la jeune femme et représenter pour elle une sorte d’échappatoire à son « train-train » quotidien, quelque peu monotone. James est un homme libre, sans obligations apparentes, tandis que Claire est « l’agent immobilier », qui rêve de sa réussite sociale. Il lui donne la chance d’être quelqu’un d’autre, certainement de mieux, l’espace d’un instant, notamment lors de la scène de la bataille où James lui propose de jouer à la bataille avec lui. Claire prend sur son temps du déjeuner et joue donc à la bataille avec un homme qu’elle connaît à peine, dans l’appartement de Mike et de Liz qui se sont absentés. Et elle n’ose pas aller jusqu’au bout du jeu : elle se bloque, elle est perdue et elle ne parvient pas à dire le mot « bataille ». Claire fait comme si elle trouvait tout cela ridicule alors qu’en fait c’est la première fois qu’elle semble vraiment s’amuser depuis longtemps. Lorsqu’enfin elle ose dire le mot « bataille », elle est comme libérée d’un poids, elle est enfin elle-même. Ainsi on peut supposer que le côté banal de la situation est en fait une dénonciation fait par l’auteur (et le metteur en scène), à propos de la société d’aujourd’hui : il est en effet difficile de vendre sa maison de nos jours, l’immobilier est beaucoup moins accessible qu’auparavant. Mais la critique principale est certainement celle du manque de liberté que nous pouvons avoir au sein de la société : nous ne sommes plus nous-mêmes et ont exécute simplement notre fonction (travail). Le travail, avec pour but une certaine réussite sociale, nous enferme dans la solitude et l’ennui. La société d’aujourd’hui est une société de consommation, qui ne pousse qu’à la dépense et à « l’appât du gain ». De cette façon, à mesure que la pièce avance, le cadre rassurant de notre vie quotidienne va se montrer sous un nouveau jour (d’où le changement continuel de point de vue sur la pièce principale de la maison), et les protagonistes eux-mêmes vont se révéler étranges, inquiétants, voire dangereux.
L’étrangeté va en effet surgir peu à peu entre les personnages, et ceci simplement par le langage. Le texte de Crimp « se construit en d’infinis déplacements, dérapages, lapsus », selon Sylvain Maurice. Les relations entre les personnages vont devenir plus ou moins ambigües, on découvre une facette « maléfique » des protagonistes, leurs faces cachées. Mike et Liz qui avaient d’abord décidés de vendre leur maison sans profiter de l’envol des prix vont en fait avoir l’espoir de ce gain inespéré. Ils s’avancent sans cesse comme étant des gens honorables, mais se révèlent en fait très profiteurs, si ce n’est calculateurs. De plus on se rend compte qu’il s’agit de deux parents irresponsables et égoïstes : la jeune fille au pair, une jeune fille italienne, dors dans une chambre sans fenêtre et n’a pas le droit d’appeler sa famille en Italie car cela coûte trop cher. Elle est là simplement pour s’occuper de leur bébé, et si il se réveille et crie, ils lui hurlent l’ordre d’aller s’en occuper. Ce couple au premier abord charmant n’est donc pas aussi sympathique qu’il n’y paraît : ils manifestent au début une réelle sympathie pour Claire mais une fois la transaction effectuée ils ne semblent pas aussi attristés par sa disparition, qu’on aurait pu le croire. Ainsi ils sont à l’image de la société et de la bourgeoisie moderne, telle que veut la dénoncer Crimp.
Le metteur en scène, Sylvain Maurice va dans sa mise en scène retranscrire l’étrangeté du texte et du langage au niveau de la musique, des lumières et des déplacements du décor. En effet plus la pièce avance et plus le décor de la maison se retourne comme pour montrer l’ « envers du décor ». A la fin le décor est complètement retourné et on découvre le véritable fond des personnages : la forme va avec le fond. De plus, entre chaque scène, la lumière est de plus en plus sombre, comme pour montrer le fait que la part d’ombre des personnages s’amplifie elle aussi. Chaque entre-scène est rythmée par une musique du type électro (voir transe) et des néons s’allument sur les bordures du décor : ce qui montre d’une part l’étrangeté mais fait aussi écho avec la société moderne d’aujourd’hui. Ce choix de musique met l’accent sur le côté étrange, froid et inquiétant de la pièce, tout en marquant la progressivité de cette « révélation ». Mais c’est aussi une musique que l’on pourrait qualifier de « dure » (en tant que musique électronique), qui pourrait raconter la violence de notre temps et de certains hommes. Dealing with Clair est une pièce qui dénonce la société, dont le langage est aujourd’hui une arme fatale, et dans laquelle les hommes se révèlent parfois être des monstres sans que cela ne soit un véritable choc : le mal est banal, quotidien, tout comme le danger.

Ainsi, dans sa mise en scène de Dealing with Clair, Sylvain Maurice prend en compte le contexte historique de la pièce de Crimp, tout en faisant écho avec la société d’aujourd’hui. Maurice crée en fait une sorte de thriller, non pas grâce à sa mise en scène, mais tout simplement grâce au texte de Crimp, qui écrit de manière décousue crée à la fois de l’intrigue, du suspens, et de l’humour. Cette pièce en effet dans l’implicite, est une satire sociale et politique tout en étant un drame social et psychologique. C’est au spectateur de faire son propre scénario, puisqu’il n’est pas dit clairement ce que devient le personnage de Claire : Maurice (de par sa mise en scène) et Crimp (de par son texte), font tout deux appel à l’imaginaire du spectateur, et surtout l’amène à réfléchir sur la condition de l’homme et ses faces cachées qui parfois peuvent s’avérées dangereuses. Au travers de cette pièce est en fait dénoncé la « banalisation » du mal qui existe à notre époque : le mal est omniprésent dans notre société et ce à tel point qu’il en est devenu banal (ex : agressions, viols, infractions, méchanceté des individus les uns envers les autres, etc). Cette pièce lève le masque en quelque sorte sur les apparences, et nous montre que la société dans laquelle nous vivons n’est pas aussi rassurante qu’on peut l’imaginer, mais au contraire inquiétante. Cette pièce regroupe donc plusieurs thèmes à la fois, qui touchent plus ou moins le spectateur, mais surtout le rendent perplexe.

Analyse de théâtre - Dealing with Clair Crimp/Maurice/Sartrouville



L'histoire à première vue simple d'un jeune couple désirant vendre leur maison devient progressivement un peu plus inquiétante avec la disparition de Claire, l'agent immobilier. La mise en scène de Martin Crimp reflète en effet cette apparente simplicité qui cache d'inquiétantes vérités.

Nous apercevons au début de la pièce ce qui est censé représenter l'appartement de Claire, soit un fenêtre. Au départ, ce lieu est assez intriguant voire oppressant. La lumière n'éclaire que la fenêtre et laisse le reste de la scène dans un noir total, les sons de trains renforcent la dimension inquiétante de cet espace qui semble perdu et en train de s'effacer dans une sorte de néant.

De nombreux éléments vont casser l'aspect "cosy" de la maison de Mike et Liz. On ne peut apercevoir que du noir derrière les fenêtres, un vide étrange et assez inquiétant qui m'a rappelé Fin de Partie de Beckett. Nous nous trouvons dans une maison qui a finalement l'air d'être au milieu de nulle part, entendons certes des pleurs de bébé mais ne voyons jamais celui-ci. Il semblerait qu'il n'y ait plus de forme de vie à l’extérieur. La nature elle aussi semble avoir étrangement disparu, d'autant plus que tout le monde se refuse à se rendre dans le jardin, comme s'il pouvait être dangereux de sortir de la maison.

Le fait que tout autour de la maison soit noir, y compris l'espace des spectateurs insère celui-ci au sein de la pièce. J'ai personnellement eu l'impression de me trouver au sein de ce vide dans lequel les personnages auraient peur de se retrouver. Ils sont cependant déjà à moitié dedans puisque le salon est finalement ouvert sur ce vide et parfois les personnages y jouent. De plus nous comprenons assez vite que la maison est fragile, elle pourrait finir par s’effondrer dans ce grand espace inquiétant.