lundi 5 octobre 2009

Raconter/Montrer : la question du narrateur et de la narration dans L'Odyssée



Démodocos, l'aède des Phéaciens, chante la gloire des héros Gravure par Tommaso Piroli (1752-1824) d'après le dessin de John Flaxman (1755-1826) The Odyssey of Homer. Rome, 1793. Planche 10
Petite réflexion un peu bavarde mais (je l'espère) pas inutile...
L'un des enseignements que l'on peut tirer des différentes adaptations des chants de L'Odyssée présentées la semaine dernière, c'est qu'un premier choix décisif concerne l'acte de raconter lui-même : faut-il mettre en scène un narrateur ou bien transformer le récit en scènes sans filtre ou intermédiaire ? Si l'on choisit un narrateur sur le plateau, quelle place lui assigner, quelles modalités de présence lui conférer ? Doit-il être toujours présent/par intermittences ? Quelles relations doit-il entretenir avec les personnages et les actions jouées ? Avec le spectateur ?
Le questionnement est nécessaire et passionnant puisqu'il met en jeu la distance entre le récit et le spectateur - son adhésion complète ou pas aux scènes montrées.
Pour bien en poser et en peser les termes, il est nécessaire d'observer dans L'Odyssée même la place et l'importance de l'acte de narration.
L'on sait d'abord que L'Odyssée est la trace écrite d'une tradition orale - un peu comme les Contes de Perrault : les Chants étaient avant tout le prétexte d'une performance orale d'un récitant, l'aède, accompagnée de musique.
Gustave Doré, frontispice de l'édition des Contes de Charles Perrault dans l'édition Hetzel de 1872
L'on peut aussi remarquer qu'il ne manque pas d'épisodes où cette performance est en quelque sorte mise en scène dans le récit lui-même : par exemple, durant la totalité des chants IX à XII, c'est Ulysse qui raconte ses propres aventures à la cour d'Alcinoos dans un récit rétrospectif à la première personne (mise en abîme géniale).
Or ce choix est décisif : il met Ulysse en position d'aède et du coup il met en question le crédit à donner à ce récit. Faut-il croire tout ce que raconte Ulysse ?
Si Ulysse raconte ses aventures aux Phéaciens, c'est dans l'espoir qu'ils puissent l'aider à rentrer chez lui. Car les Phéaciens sont des "passeurs", un peuple de la mer, qui rend culte à Poséidon.
Or Ulysse a outragé Poséidon en aveuglant le Cyclope.
Il a donc devant lui a priori un auditoire hostile : il lui faut le séduire. Et même le retourner : faire de ces protégés de Poséidon ses propres alliés.
Du coup, il a intérêt à atténuer ses responsabilités et à se montrer sous le jour le plus favorable. Bref, il doit se donner le beau rôle dans des événements dont il est le seul témoin vivant.
On le voit, la question de mettre en scène cet acte de narration-là et ses enjeux de signification (Ulysse racontant aux Phéaciens ses aventures et sans doute les déformant) est un choix dramaturgique essentiel : il engage rien moins que le crédit que l'on veut suggérer au spectateur de mettre dans les événements rapportés. Il pose la question du faux, du mensonge, de l'illusion : bref, la question du théâtre...
La question du comment mettre en scène cet acte de narration, et selon quels partis pris, je vous la laisse...

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