jeudi 4 février 2010

Dom Juan, Molière et les Dévôts


Le vray portrait de Mr de Molière en habit de Sganarelle, gravure de Simonin, XVIIème siècle

En écho au cours de lundi dernier sur notre ami Jean-Baptiste, un document édifiant.
Le Sieur de Rochemont, auteur de ce "libelle", c'est-à-dire de ce petit texte pamphlétaire et diffamatoire, a assisté à la Première du Festin de Pierre (titre original du Dom Juan de Molière), le 15 février 1665.
Il a visiblement eu du mal à s'en remettre.
C'est un témoignage éclairant sur la violence des attaques que Molière a subies à l'époque.
Mais ce triste sire sait lire : sa lecture au vitriol du personnage de Sganarelle que Molière s'était réservé d'incarner n'est pas si sotte : elle pointe la subversion propre du rire et de la farce. Sganarelle est peut-être plus subversif que Dom Juan...
ET n'oubliez pas qu'hypocrite vient du Grec ancien ὑποκριτής qui signifie... "acteur" !

B.A. Sieur de Rochemont, Observations sur une comédie de Molière intitulée Le Festin de pierre (libelle paru en 1665 à Paris, chez N. Pepingui)

Qui peut supporter la hardiesse d'un farceur qui a fait plaisanterie de la religion, qui tient école du libertinage et qui rend la majesté de Dieu le jouet d'un maître et d'un valet de théâtre, d'un athée qui s'en rit et d'un valet, plus impie que son maître, qui en fait rire les autres ?

Cette pièce a fait tant de bruit dans Paris, elle a causé un scandale si public, et tous les gens de bien en ont ressenti une si juste douleur que c'est trahir visiblement la cause de Dieu de se taire dans une occasion où sa gloire est ouvertement attaquée, où la foi est exposée aux insultes d'un bouffon qui fait commerce de ses mystères et qui en prostitue la sainteté, où un athée, foudroyé en apparence, foudroie en effet et renverse tous les fondements de la religion...

Il serait difficile d'ajouter quelque chose à tant de crimes dont la pièce est remplie. C'est là que l'on peut dire que l'impiété et le libertinage se présentent, à tous moments, à l'imagination ; une religieuse débauchée, et dont l'on publie la prostitution ; un pauvre à qui l'on donne l'aumône à condition de nier Dieu ; un libertin qui séduit autant de filles qu'il en rencontre ; un enfant qui se moque de son père et qui souhaite sa mort ; un impie qui raille le Ciel et qui se rit de ses foudres ; un athée qui réduit toute la foi à deux et deux sont quatre et quatre et quatre sont huit ; un extravagant qui raisonne grotesquement de Dieu et qui, par une chute affectée, casse le nez à ses arguments ; un valet infâme fait au badinage de son maître et dont la créance aboutit au Moine bourru, car pourvu que l'on croie le Moine bourru tout va bien, le reste n'est que bagatelle ; un démon qui se mêle dans toutes les scènes et qui répand sur le théâtre les plus noires fumées de l'Enfer ; et enfin un Molière, pire que tout cela, habillé en Sganarelle, qui se moque de Dieu et du Diable, qui joue le Ciel et l'Enfer, qui souffle le chaud et le froid, qui confond la vertu et le vice, qui croit et ne croit pas, qui pleure et qui rit, qui reprend et qui approuve, qui est censeur et athée, qui est hypocrite et libertin, qui est homme et démon tout ensemble : un diable incarné comme lui-même se définit...

... Il faut avouer que Molière est lui-même un Tartuffe achevé et un véritable hypocrite.

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