jeudi 6 janvier 2011

Journal de Bord du 6 Janvier 2011.

Lors de la première heure nous avons discuté de la séance précédente et nous sommes revenus sur un problème concernant la partition des Chantres. Par le biais de leur texte, le reste des personnages illustrent leurs paroles, et elles en disent beaucoup. Mais que se passe-t-il pour elles lorsqu'elles n'ont plus de texte? Voilà la question que nous nous sommes posée. Nous y avons finalement répondu de manière assez simple, en disant qu'il était très important d'être toujours en jeu. Et que donc, dans ces conditions, même sans texte, les Chantres devenaient personnages anonymes participant grâce à leur attention et leur réaction au jeu en cours. Car ce qu'il est important de souligner est que nous sommes continuellement dans une position d'ensemble, aucun personnage Novarinien ne peut fonctionner seul, de la même manière que la pièce nécessite de notre part une unité. Car lorsque l'on est pas acteur on est choeur et vis versa.
Sur la deuxième heure les choses sérieuses commencent. Tout d'abord par l'installation de "la toile" qu'on a pensé remplacer par du tissus (dans les épisodes à venir), mais pour l'instant on accroche nos laids de papier les uns aux autres et les résultat est plutôt très satisfaisant pour la première fois. Nous avons restreint la peinture à trois couleurs, le marron pour la terre, le vert pour la végétation et le bleu pour la mer. Nous nous sommes fixé un objectif qui est de jouer en respectant l'emplacement de chacune des couleurs en fonction de cette carte imaginaire de la Grèce:



Évidemment nous avons été contraints de la simplifier quelque peu, mais à l'aide de légers tracés sur la toile blanche nous avons pu nous repérer et respecter les limites. C'était plus intéressant d'avoir des "règles" pour se déplacer, d'avoir une sorte de consigne. Nous avons même trouvé ça plutôt rassurant, comme si nous étions encadrés, accompagnés par ces lignes qui nous dictaient comment faire, vers où aller. Nous devions rester très précises dans nos mouvements, et nos pas étaient d'autant plus conditionnés, mais j'ai trouvé que nous nous agitions moins, que nous étions plus concentrées, comme si nous avions été des équilibristes sur un fil. Cela nous a fixé un objectif, celui d'atteindre l'autre bout, et d'effacer les traces. Je m'explique: la dernière fois nous avions beaucoup de couleurs et nous piétinions dans tous les sens mais rien n'était apparu, le résultat ressemblait à un dessin d'une classe de maternelle qui peint avec les pieds pour la première fois. Nous avions été plusieurs à être découragées et très déçues par toute cette mise en oeuvre si engagée et finalement sans réel but. Alors qu'aujourd'hui nous avons comme objectif de construire quelque chose, et même si nous nous laissons aller au jeu et dans nos déplacements, nous avons un réel point final à atteindre. Il ne s'agit plus d'un méli mélo de couleurs sans significations mais d'un réel travail de peintres, d'acteurs, de géographes. Et cette concentration dans l'espace et dans les couleurs nous a permis d'être plus imprégnées de nos rôles et ainsi nous sommes parvenues sans s'en rendre compte et sans y prêter la moindre attention que les traces de pieds avaient disparues pour devenir des traînées de peinture, des traces, presque des glissements. C'était tout aussi amusant et bien plus intéressant. De plus nous avons utilisé la peinture autrement, avec de réels gestes sous de vraies actions. Par exemple pour dessiner des îles sous forme de croix, pour peindre un visage, ou encore pour s'échanger des objets fantastiques. Donner un autre sens à la peinture que celui de faire de la couleur nous a permis d'être plus en osmose avec elle et de se détacher de cette fonction première qui fascine mais qui resserre son utilisation. Je trouve que nous en avons fait un usage plus intéressant, plus réel et davantage parlant. Ainsi nous avons mieux compris dans nos gestes à quoi servait la peinture, elle devient du maquillage, un objet merveilleux (mais moins fantastique, plus concret), une île ... De plus, elle nous a éclairé véritablement sur la suite de notre travail, nous avons vu naître la Grèce sous nos empreintes, nous avons dessiné une Clytemnestre sous un masque marron, et c'est finalement l'obstacle de la peinture qui permet de libérer la succession et la signification des choses. Nous ne sommes plus désormais des ouvriers du drame ridicules et multicolores mais des acteurs peintres qui ont l'air de savoir où ils vont, qui suivent une route, qui tracent un chemin. Je trouve que tout s'éclaire, que nous sommes d'autant plus à l'aise et plus rassurées. En une séance, beaucoup des choses que nous avions du mal à comprendre ont pris forme et sont même devenues concrètes. Clytemnestra portera ce masque marron qui la différenciera des autres personnages, et nous avons déjà une ébauche du monde que nous construirons pour continuer. Cela me paraissait impossible et catastrophique à la fois de m'imaginer à quoi ressemblerait Agamemnon la dernière fois que nous avons utilisé la peinture, j'avais l'impression qu'avec cette peinture et ces couleurs nous allions casser la tragédie en insérant cette influence comique et ludique qui n'appartient qu'à Novarina. Mais maintenant que nous avons tracé une carte, que nous distinguons la mer de la terre et des forêts je sais où nous allons jouer Agamemnon, et je trouve que c'est rassurant de savoir où on va et où on est. Nous avons enfin été vers un résultat qui possède un sens, bien qu'il puisse être encore et toujours amélioré. C'est d'ailleurs après cette séance que nous avons pu dire que nous avions atteint le "bon endroit", le début de L'Acte Inconnu est fixé et en place. Nous avons beaucoup évolué en deux séances, grâce aux structures que nous nous sommes posées et à la concentration, l'équilibre et la précision dont nous avons su faire preuve, en étant plus en confiance. Même cette espèce de rétrospective qui nous donne l'impression de nous voir en train de jouer et nous bloque par peur du ridicule disparaît, car nous avons un autre objectif que de "paraître", nous devons construire.
Jane
Durant la première heure, nous sommes revenus sur la séance d'avant les vacances. On constate clairement que nous faisons beaucoup plus un travail de groupe. Cynthia (qui a le rôle du Chantre 1), parle de la présence sur le plateau, la présence muette. Ce que nous retenons de ce point : Que faire lorsqu'on est à vue, en jeu mais pas dans l'action principale ? --On est toujours en jeu, présente, concentrée, à l'écoute des autres; personne n'est "inutile". Tout d'abord on se doit évidemment d'être à l'écoute des autres, mais on peut aussi réagir à ce que font les protagonistes, être ouvert à ce qui se passe; il faut être en "connexion" avec les autres. Le théâtre est un art collectif.
Nous nous sommes aussi posé la question du support pour la peinture (plutôt par soucis économique). On en est donc venu à proposer du tissu, un drap blanc, pour y dessiner la carte (à essayer dans quinze jours).
Ensuite, en deuxième heure, nous avons installé la bâche et les grandes feuilles. Nous étions aujourd'hui dans l'optique de dessiner la carte (seulement trois couleurs ont été conservées : le marron, le bleu et le vert). Les premiers traits ont été dessinés au crayons à papier (très grossièrement). J'ai trouvé cette "contrainte" très judicieuse, cela allait obliger à faire attention de bien différencier la terre, l'eau... Et cela a effectivement très bien rendu. Je découvrais beaucoup plus une carte (alors que le travail effectué avant avec la peinture avait été plutôt décevant). Je pense que le fait d'avoir eu un objectif bien plus précis et le fait de n'avoir que trois couleurs ont beaucoup aidé, je trouve que nous avons beaucoup progressé, et maintenant que nous savons mieux vers où nous nous dirigeons, le travail est d'autant plus intéressant.
Avant le texte du Déséquilibriste, les filles ont déambulé (sans peinture sous les pieds) sur les pages blanches pour visualiser à l'avance la trajectoire qu'elles allaient effectuer lors du "défilé" des personnages appelés. Cela a rendu quelque chose de très beau, comme en vue d'un rituel; il a donc été décidé de garder cette déambulation, de ne pas mettre tout de suite la peinture sur les feuilles blanches, mais à la réplique d'Alice : "Le théâtre est vide. Entre Adam, il sort". Ensuite nous avons continué le texte comme les dernières fois. Et c'est à la réplique d'Elodie ( "Quels sont les peuples qui ont le plus commis d'actes répréhensibles [...]") que nous arrêtons le texte de Novarina pour celui d'Agamemnon.
Je trouve que le texte devient beaucoup plus concret, et la performance physique s'améliore beaucoup. La peinture donne du jeu, de la présence, on semble comme ancrée dans le sol. Même si avec la peinture on se concentre moins sur le texte, il est moins bien clamé. On a bien l'impression d'être en rapport avec la pensée de Novarina, une fois devant les feuilles peintes on se rend bien compte que quelque chose se créé, on a beaucoup plus l'impression de "carte", je pense du fait qu'il y ait moins de couleurs. J'ai la sensation d'avancer vraiment dans le travail.
Agnès Pérez

7 commentaires:

  1. Merci Jane pour ce très instructif jdb : te voilà rassurée (et nous aussi du coup : te savoir inquiète, ça nous angoisse!)
    On aurait aimé une mention des choses que nous nous sommes dites relatives au début du spectacle (la préparation de l'espace et des corps comme en vue d'un rituel et en vue de la performance pendant le texte de l'émissaire).

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  2. Ben il ne faut un peu pour Agnès! On est deux à le faire.

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  3. Ah d'accord...
    Bon, avec Agnès, ce n'est peut-être pas pour tout de suite... ;.)

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  5. Alors moi j'appréhendais beaucoup cette séance, déjà parce que je n'avais eu que des mauvais échos mais en plus parce que je ne savais pas comment moi j'allais "gérer" toute cette peinture! Mais en fin de compte j'ai adoré cette séance, au début c'était assez impressionnant mais on s'habitue vite a la matière et puis j'ai l'impression que ca a débloqué quelque chose chez moi. La peinture m'a poussé a donné encore plus de moi même et tout devenait plus simple par exemple le geste de mettre ma main sur ma bouche a été carrément instinctif mais quand j'y ai repensé sur le coup je me suis stoppé de peur de ce que j'étais entrain de faire mais il fallait absolument me laisser aller a mes "pulsions...". Quand il y a la peinture C'EST MON CORPS QUI DECIDE DE MES ACTIONS! Mais même pour la question de "localiser" les terres ou les fleuves ou les peuples, c'est devenu encore plus fastoche! Jusqu'a cette séance j'étais beaucoup centré sur mon texte et la peinture me l'a fait "passser" plus facilement, c'était plus fluide en quelque sorte, j'ai surmonté la difficulté du texte, j'ai su même l'APPRECIER, le SAVOURER car grâce a la peinture ce que je racontais avait beaucoup plus de sens a mes yeux! En revanche petit bémol j'ai eu l'impression que le fait d'être trop axé sur la peinture, le texte était moins bien dit ou moins bien soutenu en tout cas pas comme il le faudrait. Voila =)

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  7. Ah oui!! Et je me suis rendue compte aussi que c'était vraiment une chance pour nous de pouvoir (encore) jouer avec de la peinture, d'ailleurs je ne vois pas ma Clytemneste sans être maculée de rouge des CHEVEUX jusqu'aux pieds! Mais ca je le développerai plus tard quand j'aurai trouvé des images ou prit des photos de tests chez moi! TO BE CONTINUED...

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