Nous sommes revenus d'abord sur le JDB de Nataly, ses différentes impressions quant à la dernière séance, en revenant plus sur la prestation des Émissaires (métaphore de cohésion : ce ne sont pas des vieillards mais des "revenants de guerre" encore dans l'épuisement, la poussière et le traumatisme de Troie) et des Cassandre, mettant le doigt sur la difficulté de leur représentation : nous expérimentons le difficile frottement entre ce que l'on dit et ce que l'on fait, doit on systématiquement céder au mode illustratif ? La langue poétique d'Eschyle nous donne la réponse : non. Elle doit traverser la matière corporelle sans forcément induire le mime, mais créer des images qui font sens pour nous, et dans l'imagination du spectateur qui donnera sa propre interprétation à ce qu'il voit une fois de plus, notre langue personnelle, qui revient décidément dans toutes les étapes de notre travail jusqu'à présent. Marine a décrit la "cacophonie d'images" qui agresse Cassandre, posant le problème de sa mise en scène : dans l'imaginaire populaire, elle est associée à une sorte de sabbat, et on peut tomber rapidement dans l'écueil du cliché, car cette image est coriace en nous. M. Dieudonné a proposé une idée de jeu pour les 6 Cassandre : s'appuyer tout simplement sur la toile décor qui sera réalisée pour elles dans le monde Novarinien, garder à l'esprit cette transe "pytiesque" quand les ouvriers du drame peignent, sans représenter ses visions (à savoir : la guerre de Troie, l'infanticide anthropophage, sa propre mort et celle d'Agamemenon... ) mais en utilisant des couleurs violentes, des mouvements de peinture qui traduisent son trouble... et elles pourraient même continuer de peindre la toile tout en évocant ce qu'elles voient (et se maquiller à vue ?) , là aussi le langage du corps transcendé est primordial, en cela une unité n'est pas forcément nécessaire dans les mouvements. L'idée d'éclatement est intéressante car elle traduit son trouble, les sentiments variés et extrême qu'elle éprouve. Le travail est en constante évolution face aux impasses que plusieurs d'entre nous rencontrent, mais c'est positif ! :D
Après un exercice d'adresse du texte (en cercle, les Clytemnestre post-meurtre devaient viser une phrase de leur partition avec puissance "entre les 2 yeux" fermés d'une des filles, qui devait sentir qu'elle lui était particulièrement adressée) nous avons d'abord abordé la partition de Camille, Assia, Nataly et Alice. Elles sont censées toutes porter une robe blanche resserrée sous la poitrine par un tissu rouge, cheveux détachés. Elles ont repris leur idée très belle et judicieuse de l'eccyclème (un chariot roulant) sur lequel gisaient les corps de Marine (Agamemnon) et Amanda (Cassandre), avançant lentement vers nous, très impressionnant, la scène accompagnée de leur musique de Seigneur des Anneaux. Elles l'ont développée en portant Marine sur un diable et Amanda sur la table : il y a eu un grand travail sur l'exposition "bouchère" des corps, l'obsenité de la chair à nue (montrer le pied : //morgue).
La manière dont Nataly et Alice ont jeté le corps d'Agamemnon, m'a fait penser à la manière dont on jetait les cadavres démantibulés des juifs dans les fosses, comme des déchets. Ca m'est tout de suite venu à l'esprit, l'image de Marine, le sac plastique sur la tête (très "bébé sous cellophane" congelé) s'affaissant mollement devant nous était saisissante. le diable devient pour Agamemnon un trône ironique et macabre.
Amanda, tête, épaule et jambe nues, enrubannée dans le drap rouge comme son amant, comme dans un cocon mortel, m'a évoqué l'affiche du film le Parfum. Morte, elle garde tout de même une certaine sensualité, une beauté esthétique et quasi picturale (dont Alice a trouvé de très beaux exemples de tableaux) sa mort reste une image poétique. Dans la posture des cadavres (qu'on a pas mal experimenté l'an dernier avec le massacre des prétendants) on peut penser aux corps en putréfaction du radeau de la Méduse (détail ci dessus).
Le jeu des Clytemnestre est riche : en relevant la tête ensemble elles expriment le triomphe suite à leur meurtre, la victoire. Elles "sourient" le texte. A l'évocation du massacre, les filles veulent tomber à terre les mains dans une bassine remplie de rouge, image plastique très belle et juste : se peinturlurant le visage, elles jouissent du sang qui les féconde, comme un sperme symbolique. Eros et Thanatos sont là, notamment dans le jeu d'Alice et de Nataly avec le cadavre de Marine, l'enjambant (un peu comme Nada Strancar de l'Agamemnon d'Olivier Py) et "jouant" avec son corps comme une marionette (matière plastique) pour créer des images : elles se caressent avec sa main, montrent avec brutalité son visage d'assassin au public, et sont un même corps : "l'oeuvre de ma main droite" dit Nataly en brandissant le point serré d'Alice. Le sacrilège est là, rituel tribal.
Camille crée un jeu très émouvant avec le corps de sa rivale Amanda/Cassandre, qu'elle prend dans ses bras hantée par l'image d'Iphigénie sacrifiée, dans sa douleur la mère déchirée trouve un ersatz de sa fille, et le serre comme un doudou, ça m'a donné des frissons. Alice a trouvé le détail de "Guernica", très saisissant, comme scène de douleur maternelle. J'ai aussi trouvé un tableau de Jacques Stella, Le Christ mort sur les genoux de la vierge (ci dessous) qui me rappelait l'attitude très "picturale" de Camille avec le cadavre (décidément Jésus se retrouve aussi dans beaucoup d'étapes du travail). Assia, pendant que les 3 autres Clytemnestre trainaient les cadavres au loin pour les unir dans une étreinte grotesque et morbide (image très violente), se dressait victorieuse sur la table/chariot et lançait le défi au choeur : cela me rappelle à la fois la Clytemnestre sanglante et "nazifiée" de Peter Stein sur son char (car une dictature s'installe), mais aussi la figure allégorique de Marianne du tableau d'Eugène Delacroix, "la Liberté guidant le peuple" (détail ci dessous), sauf qu'ici ce n'est pas la Liberté mais la Tyrannie qui se lève fièrement au dessus de nous, rieuse et vengée.
Nous avons commencé à travailler la partition de Cynthia, enveloppée d'une traine rouge, élégante et apaisée. Nous devions soumettre son jeu à une contrainte physique : nous avons imaginé qu'elle se déplaçait entre un monceau de cadavres, allégorie de son propre crime et des charniers de Troie, sur le quel elle marche avec difficulté, l'empêchant d'avancer vers son amant, presque insouciante et souriante, car enfin elle est comblée. Son attitude douce et aimante crée un grand décalage ironique, là aussi très saisissant, une scène fantastique . Relevant Egisthe de l'enchevêtrement des corps, masse créatrice, elle appelle à l'apaisement, et l'enlace tendrement, tout en convaincant le Choeur (où sera-t-il : dans le charnier ? Pourquoi pas) de cesser leurs imprécations. Le charnier, pour que l'image marquante ne s'éteigne pas tout de suite dans l'imaginaire du spectateur doit se faire grouillante, comme les vers en boule d'un pêcheur. Avec Camille, nous avons toutes les deux pensé à cette scène géniale du film Le Parfum (eh oui encore, n'hésitez pas à la voir si ce n'est pas déjà fait !), une scène d'orgie. Jean Baptiste Grenouille le héros/méchant du film, a assassiné des dizaines de jeunes femmes pour créer le parfum suprême qui pourrait mettre à sa merci le Monde tout entier. Cette orgie extatique est générée par le parfum relevant du divin qu'il diffuse dans l'air : cette scène est intéressante pour l'effet grouillant des corps. Je vous met un petit extrait où on voit un peu la scène.
J'ai trouvé cette séance très enrichissante, même si plusieurs d'entre nous (dont moi) avions envie de les rejoindre sur scène pour jouer, cela nous donne de bonnes directions de jeu pour les différents passages d'Agamemnon. Notamment pour la scène du retour du roi qu'Anas, Charlène et Elodie travaillent avec moi. On comprend ce que Clytemnestre veut dire à travers l'image de la racine qui repousse, du moucheron qui l'empêche de dormir, de la pourpre, du mat : notre jeu est pour le moment assez investi au niveau de la parole, qui traduit l'ambiguité de ce que dit la reine, mais en voyant les filles créer tout ce jeu de corps, cela nous motive pour sortir de notre staticité (pour le moment, le mouvement était plutôt réduit à un regard vers le choeur et vers Agamemnon) et faire passer l'invitation au plaisir de la chair par le corps, mais de manière imagée. C'est une prochaine étape de notre travail que nous allons bientôt expérimenter.
Très complet, Margot : tu résumes et isoles bien les principaux axes de questionnement et de travail. Tes images sont de bons compléments au travail, susceptibles de le relancer. LA prochaine fois, n'hésite pas non plus à analyser ce que toi tu as particulièrement saisi lors de la séance, à mettre en relief ton propre apprentissage et son évolution.
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RépondreSupprimerC'est une excellente trace de la séance, en lisant le JBD de Margot j'ai eu l'impression d'être de nouveau sur le diable. Même si je n'avais pas grand chose à faire durant cette séance à par me laisser tomber du diable, le rôle de mort demande beaucoup de concentration. Il faut essayer de trouver un état second car on à pas l'habitude de se laisser manipuler par d'autres personnes, ca chatouille, ca ne dépend pas de nous et donc ca provoque le rire. Il faut être sérieux quand on est mort faire attention à ne pas bouger, contrôler la respiration, les clignements de yeux... C'est un rôle physique, ce n'est pas dur physiquement mais il faut vraiment être concentré sur son corps pour éviter d'être visiblement vivant.
RépondreSupprimerPour ce qui est de la partition de Cynthia où nous sommes toutes les unes sur les autres, cela m'a rappelé l'exercice on nous devions rouler sur nous même, toutes cote à cote on devait former un tapis roulant pour emmener une des filles qui se trouvait sur le tapis roulant d'un bout à l'autre de la salle. Sauf que la c'était l'inverse on l'empêchait en quelque sorte d'avancer. Je me demande si on ne pourrait pas reproduire cet exercice, dans le sens ou Clytemnestre reprend le pouvoir par son massacre. J'imaginais alors que nous, morts statiques nous animerions pour former un tapis roulant qui conduirait Clytemnestre jusqu'à Egisthe. Cela indiquerait également qu'il y a une suite dans l'histoire, une des phrases de Clytemnestre illustre bien cette idée "le mal fait aux morts pourrait se réveiller" p25 v345.
Message pratique : jeudi, pour la première fois on devrait "monter" le drap peint pour enchaîner le Novarina et les premières Clytemnestre.
RépondreSupprimerIl faudrait donc songer à un dispositif technique pour réaliser cette levée à vue !
1) Si Alice a le temps et le matériel, il faudrait coudre sur une longueur des draps reliés entre eux plusieurs couples de lacets (au moins deux, un à chaque bout, mais ça risque de bailler : quatre ?) de tissu pour pouvoir les nouer autour d'une guinde.
2) A défaut, il faudrait penser à apporter des pinces à linge : remember Nausicaa...
Vous y pensez ? Et au reste... (combis, peintures, bassines, textes archi sus, remémoration de votre parcours et du parcours collectif, etc
Le premier et l'unique exercice de la séance fut très intéressant. Nous devions nous mettre en cercle, puis fermer les yeux. Chacune notre tour, nous devions ouvrire les yeux, nous concentré sur l'une de nos camarades, et lui "jeter" notre texte! Le faite d'avoir une cible, une direction mq permis de voir plus clair, de ressentir cette énergie et de la mettre au service du texte.
RépondreSupprimerPuis nous sommes passé à Agamemnon. Nous nous sommes essentiellement concentré sur Les Clytemnestre(s).
La scène "de" Cynthia est difficile, et pour l'aider notre professeur nous a demandé d'aller sur le plateau.Nous nous sommes regroupé pour former des cadavres, l'ambiance morbide que suggéré les corps aida Cynthia. Ayant un regard extérieur j'ai donc constaté une très grande amélioration!
Margot a parlé d'un film "Le parfum" magnifique film qui effectivement retranscrit , je trouve, plus ou moin l'univers dans lequel nous plongeon!
Clémence
On attend le jdb de la dernière séance (celle du 10 février) : normalement, c'est Alice et Elodie qui devaient s'y coller, non ?
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