- Tout d'abord, le sujet que nous allons traiter est celui de l'oscillation permanente entre le contemporain et l‘antiquité. En effet, nous ne pouvons parler d'actualisation puisqu'il s'agirait de mettre à jour une épopée écrite il y a plus de 29 siècles. Au contraire, la mise en scène de Martinelli tend à concorder les deux époques, et je dirais même à étendre la pièce et l'histoire d'Ulysse sur tout l'espace temps qui nous éloigne de celui-ci. Il rend cette épopée intemporelle, ce qui est le propre d'une œuvre classique : être universelle et intemporelle. Dans la scénographie de Martinelli, on entrevoit concrètement cette pensée. Nous sommes face à un espace scénique à la fois spectaculaire et étrange car nous ne sommes ni dans une Grèce d'il y a deux mille ans, ni en 2011. Assurément on retrouve des éléments dit authentiques. Premièrement, les grandes marches, symbolisant le somptueux palais d'Ulysse, ou devrait-on dire de Pénélope, nous ancrent dans un univers de richesse et de pouvoir. Elles représentent la séparation entre Pénélope et les prétendants et donc entre la noblesse de celle-ci et la décadence de ces derniers. Par ailleurs, elle ne descendra jamais de son trône en présence des prétendants. Les marches s'avanceront vers eux avec violence en les poussant dans l'eau, siégée à l'avant scène. Cette image est frappante lorsque l'on connaît la fin de l'histoire et ce qui arrivera aux prétendants. Effectivement, on pense immédiatement aux marches avançant comme on penserait à Ulysse marchant sur ses rivaux. Les marches deviennent la métaphore du retour d'Ulysse qui tuera les prétendants, en marchant vers eux sans pitié. Les marches sont symboliques et nous font en effet penser à la représentation d'un palais grec. Cette pensée est accentuée par les six colonnes géantes entourant la scène. Nous avons, en combinant les marches et les colonnes, l'image d'une grande habitation grecque, comme il est coutume de voir. Mais, alors qu'elles auraient pu être en grosses pierres, comme l'est le Parthénon, Martinelli choisit de les construire en une sorte de métal, de béton, qui donne un aspect à la fois très robotique et métallique, mais aussi un aspect onirique. Car cette matière ambigüe n'est pas véritablement la représentation du réel ou du contemporain, mais doit être davantage associée à une « non existence », à une matière illusoire, ou appartenant à un imaginaire. En cela, Martinelli cherche à développer l'imaginaire du spectateur. Selon lui, cet imaginaire doit « prendre le relais ». D'ailleurs, le metteur en scène citera Georges Banu en disant que « là où le concret se dérobe, l’imaginaire se développe ». C’est ce que nous tendons à expliquer : Martinelli ne cherche pas à reproduire le réel ou à actualiser l’épopée d’Ulysse. Au contraire, il aspire à placer le héros grec dans un espace imaginaire, entre l’authentique et le contemporain. Martinelli tente de donner « des traces de l ’Antique de façon indicielle, et de montrer comment elles vont contaminer l’espace contemporain ».
- C’est ce qui se produit dans le choix des costumes. Nous sommes une fois encore plongés dans un entre deux. Par exemple, Pénélope et Eumée portent des costumes qui se rapprocheraient de « reproductions ». Au contraire, les prétendants sont vêtus de costumes que l’on pourrait qualifier de plus « moderne ». Les termes sont à choisir avec précaution car il ne s’agirait pas de qualifier un costume de moderne ou de vrai, de réel. Ceux-ci pourraient représenter une évolution ou alors ne seraient que l’illustration, l’iconographie, d’une scène de la Grèce antique. D’autre part, ils représentent parfois une évolution qui symbolise l’empreinte, la contamination de l’espace contemporain. Par exemple, lors de la scène des trois générations sous l’arbre, avec l’aède, Ulysse et Télémaque, chacun est costumé d’une manière différente. L’aède est en toge, Ulysse en armure flambant neuve tandis que Télémaque, lui, porte des vêtements contemporains, comme un tee-shirt noir et un jean. Face à ce choix de costumes, on s’aperçoit que chaque personnage, dans la suite des âges, représente une époque. Nous ne pouvons pas parler d’une réelle suite logique du temps, mais plutôt d’une continuité ou d’une représentation du temps qui passe et de l’évolution que celui-ci engendre.
- L’espace et la mise en scène consacrés aux prétendants, entrent eux aussi dans une pérennité du temps et de son influence. Mais Martinelli accentue le côté universel des prétendants, tout en gardant la notion d’intemporalité. Celle-ci est visible premièrement avec le buffet qui accompagne sans cesse les « squatteurs ». En effet, nous sommes face à des pichets de vin, à du raisin, à toutes sortes de nourritures et de boissons en abondance. De plus, l’atmosphère festive, allant jusqu’à en être orgiaque, avec les danses des femmes et la relation entre les prétendants et les servantes, prenant à de nombreuses reprises des pauses luxurieuses, nous plonge, certes à effet moindre, dans un espace semblable aux fêtes romaines, excessives et exubérantes, un espace de tout les excès. L’intemporalité de cette débauche est bien entendu présente encore aujourd’hui. Nous pouvons prendre comme exemple celui des rave party, qui font chaque année des dizaines de morts dus à la drogue, à l’alcool et à la violence qui y règnent. Cette intemporalité est présente dans la mise en scène de Martinelli. En effet, nous sommes face à un buffet et à des divertissements comparables à ceux des grecs, mais les prétendants boivent dans des coupes à champagne, mangent avec des fourchettes, bref, utilisent des éléments contemporains. Une notion voisine à celle d’intemporalité est celle d’universalité. Cette notion apparaît avec le cosmopolitisme qui règne parmi les prétendants. Ceux-ci on presque tous un accent, qu’il soit du sud ou allemand. Nous sommes donc face à une mixité qui rappelle l’universalité des prétendants. Mais nous devons nous poser une question : pourquoi faire le choix de rendre les prétendants universels et intemporels? La réponse est liée à la représentation politique de ceux-ci. Effectivement, ils sont tous des jeunes hommes politiques qui ne cherchent qu’à prendre le pouvoir. Pour cela , ils ont recours à un outil efficace et manipulable : le langage. Les prétendants se servent de celui-ci afin d’arriver à leur fin, et pour cela, toutes les ruses sont permises. Face à ce parti pris du metteur en scène, nous sommes proches de la mise en scène d’Agamemnon de David Géry. Celui-ci place les protagonistes dans un procédé autour duquel s’enclenchent deux éléments : le pouvoir et les médias. L’un étant au service de l’autre à la manière d’un cercle vicieux et pervers. La politique se sert du langage au travers des médias pour se donner une image de paillette qu’elle n’a pas. C’est un rapprochement possible avec la représentation des prétendants de Martinelli, qui choisit de les représenter comme des jeunes coqs, prêts à tout pour accaparer le trône d’Ulysse.
- En conclusion, nous nous appuierons sur une phrase de Botho Strauss, qui dira que la société des grecs est « régie par le sport, la frime et la débauche ». C’est un constat à faire à notre société également, elle même régie par l’apparence, avec les médias devenus souverains bien de nos existences. Ainsi, on comprend mieux l’incidence des sociétés antiques sur nos sociétés modernes, et le choix de Martinelli à vouloir retranscrire cela dans sa mise en scène.
mercredi 19 janvier 2011
Extrait d'Analyse Ithaque, Jean-Louis Martinelli par Valentine
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C'est trèsbien, Valentine.
RépondreSupprimerMais fais attention : L'Odyssée n'a jamais été une pièce de théâtre et Martinelli s'adresse à des spectateur set non à des lecteurs : corrige ces quelques coquilles.