C'est devenu un essayiste incontournable - notamment pour les futures impétrantes en fac de Lettres, d'Arts du spectacle ou en Lettres Supérieures (hypokhâgne)....
Sur le théâtre, il a aussi proposé un regard critique corrosif : il a par exemple publié un Sur Racine qui a fait scandale parce qu'il s'en prenait violemment aux analyses du grand spécialiste de Racine à la prestigieuse Sorbonne. Il est l'un de ceux, avec Bernard Dort, qui ont introduit en France Brecht, son théâtre et ses théories révolutionnaires du théâtre.
Il a aussi beaucoup réfléchi à la tragédie grecque : avec des camarades, du temps qu'il était étudiant à la Sorbonne, il a monté plusieurs tragédies grecques en tentant d'en renouveler l'approche et les principes de mise en scène.
Dans l'article qui suit, il fait la critique de la mise en scène de Jean Louis Barrault de l'Orestie d'Eschyle, que vous connaissez.
Mais comme toujours chez Roland Barthes, l'exercice critique (féroce) est aussi l'occasion de théoriser (répertorier, classifier, identifier) les problèmes que posent la mise en scène d'une tragédie grecque aujourd'hui, d'écarter certaines réponses - comme celle de Barrault - et d'en esquisser d'autres. Le texte est long, un peu ardu, mais il vaut le détour si vous voulez clarifier les questions que nous posent Agamemnon et faire savante au bac. Citer Barthes : quel chic !!
J'en profite pour vous signaler que vous trouverez au lien suivant une série de textes passionnants de Barthes extrait d'un recueil fameux d'Essais critiques : http://ae-lib.org.ua/texts/barthes__essais_critiques__fr.htm
PS : Barthes est aussi l'auteur d'un très beau livre sur la photographie La Chambre claire, et d'un livre culte sur l'amour : Fragments d'un discours amoureux. A lire d'urgence !
COMMENT REPRÉSENTER L'ANTIQUE
Chaque fois que nous, hommes modernes, nous devons représenter une tragédie antique, nous nous trouvons devant les mêmes problèmes, et chaque fois nous apportons à les résoudre la même bonne volonté et la même incertitude, le même respect et la même confusion. Toutes les représentations de théâtre antique que j'ai vues, à commencer par celles-là mêmes où j'ai eu ma part de responsabilité comme étudiant, témoignaient de la même irrésolution, de la même impuissance à prendre parti entre des exigences contraires.
C'est qu'en fait, conscients ou non, nous n'arrivons jamais à nous dépêtrer d'un dilemme : faut-il jouer le théâtre antique comme de son temps ou comme du nôtre? faut-il reconstituer ou transposer? faire ressentir des ressemblances ou des différences? Nous allons toujours d'un parti à l'autre sans jamais choisir nettement, bien intentionnés et brouillons, soucieux tantôt de revigorer le spectacle par une fidélité intempestive à telle exigence que nous jugeons archéologique, tantôt de le sublimer par des effets esthétiques modernes, propres, pensons-nous, à montrer la qualité éternelle de ce théâtre. Le résultat de ces compromis est toujours décevant : de ce théâtre antique reconstitué, nous ne savons jamais que penser. Cela nous concerne-t-il? Comment? En quoi? La représentation ne nous aide jamais à répondre nettement à ces questions.
L'Orestie de Barrault(1) témoigne une fois de plus de la même confusion. Styles, desseins, arts, partis, esthétiques et raisons se mélangent ici à l'extrême, et en dépit d'un travail visiblement considérable et de certaines réussites partielles, nous n'arrivons [71] pas à savoir pourquoi Barrault s monté L'Orestie : le spectacle n'est pas justifié.
1. Représentations du Théâtre Marigny.
Sans doute Barrault a-t-il professé (sinon accompli) une idée générale de son spectacle : il s'agissait pour lui de rompre avec la tradition académique et d'arriver à replacer L'Orestie, sinon dans une histoire, du moins dans un exotisme. Transformer la tragédie grecque en fête nègre, retrouver ce qu'elle a pu contenir au Ve siècle même d'irrationnel et de panique, la débarrasser de la fausse pompe classique pour lui réinventer une nature rituelle, faire apparaître en elle les germes d'un théâtre de la transe, tout cela qui provient d'ailleurs beaucoup plus d'Artaud que d'une connaissance exacte du théâtre grec, tout cela pouvait très bien s'admettre pourvu qu'on l'accomplît réellement, sans concession. Or, ici même, le pari n'a pas été tenu : la fête nègre est timide.
D'abord, l'exotisme est loin d'être continu : il y a seulement trois moments où il est explicite : la prédiction de Cassandre, l'invocation rituelle à Agamemnon, la ronde des Erinnyes. Tout le reste de la tragédie est occupé par un art totalement rhétorique : aucune unité entre l'intention panique de ces scènes et les effets de voile de Marie Bell. De telles ruptures sont insupportables, car elles rejettent immanquablement le dessein dramaturgique au rang d'accessoire pittoresque : le nègre devient décoratif. L'exotisme était un parti probablement faux, mais qui du moins pouvait être sauvé par son efficacité : sa seule justification eût été de transformer physiquement le spectateur, de l'incommoder, de le fasciner, de le « charmer ». Or, ici, rien de tel : nous restons froids, un peu ironiques, incapables de croire à une panique partielle, immunisée au préalable par l'art des acteurs « psycholo-logiques ». Il fallait choisir : ou la fête nègre, ou Marie Bell. A vouloir jouer sur les deux tableaux (Marie Bell pour la critique humaniste et la fête nègre pour l'avant-garde), il était fatal de perdre un peu partout.
Et puis cet exotisme est en soi trop timide. On comprend l'intention de Barrault dans la scène de magie où Electre et Oreste somment leur père mort de répondre. L'effet reste pourtant très maigre. C'est que si l'on se mêle d'accomplir un théâtre de la participation, il faut le faire complètementrici, les siffles ne suffisent [72] plus : il y faut un engagement physique des acteurs ; or, cet engagement, l'art traditionnel leur a appris à l'imiter, non à le vivre; et comme ces signes sont usés, compromis dans mille divertissements plastiques antérieurs, nous n'y croyons pas : quelques tournoiements, une diction rythmée à contretemps, des coups contre le sol ne suffisent pas à nous imposer la présence d'une magie.
Rien n'est plus pénible qu'une participation qui ne prend pas. Et l'on s'étonne que les défenseurs acharnés de cette forme de théâtre soient si timides, si peu inventifs, si apeurés, pourrait-on dire, au moment où ils tiennent enfin l'occasion d'accomplir ce théâtre physique, ce théâtre total dont on nous a fait un véritable casse-tête. Puisque Barrault avait pris le parti, contestable mais au moins rigoureux, de la fête nègre, il aurait fallu l'exploiter à fond. N'importe quelle session de jazz, Carmen chantée par des Noirs, lui auraient donné l'exemple de ce qu'est cette présence somtnatoire de l'acteur, cette agression du spectacle, cette sorte d'épanouissement viscéral auxquels son Orestie donne un trop maigre reflet. N'est pas nègre qui veut.
Cette confusion des styles, on la retrouve dans les costumes. Temporellement, L'Orestie comprend trois plans : l'époque supposée du mythe, l'époque d'Eschyle, l'époque du spectateur. Il fallait choisir l'un de ces trois plans de référence et s'y tenir, car, nous le verrons à l'instant, notre seul rapport possible à la tragédie grecque est dans la conscience que nous pouvons avoir de sa situation historique. Or les costumes de Marie-Hélène Dasté, dont certains sont plastiquement très beaux, contiennent ces trois styles mélangés au petit bonheur. Agamemnon, Qytem-nestre sont habillés à la barbare, engagent la tragédie dans une signification archaïque, minoènne, ce qui serait parfaitement légitime si le parti était général. Mais voici qu'Oreste, Electre, Apollon viennent rapidement contrarier ce choix : eux sont des Grecs du v(6) siècle, ils introduisent dans le gigantisme monstrueux des vêtements primitifs, la grâce, la mesure, l'humanité simple et sobre des silhouettes de la Grèce classique. Enfin, comme trop souvent au Marigny, la scène se trouve parfois envahie par le maniérisme luxueux, la plastique « grand couturier » de nos théâtres bien parisiens : Cassandre est tout en plissés intemporels, l'antre [73] des Atiides est barré par une moquette sortie tout droit de chez Hermès (la boutique, non le dieu), et dans l'apothéose finale, une Pallas toute enfarinée surgit d'un bleu sucré, fondant, comme aux Folies-Bergère.
Ce mélange naïf de Crète et de Faubourg Saint-Honoré contribue beaucoup à perdre la cause de L'Orestit : le spectateur ne sait plus ce qu'il voit : il lui semble être devant une tragédie abstraite (parce que visuellement composite), il est confirmé dans une tendance qui ne lui est que trop naturelle : refuser une compréhension rigoureusement historique de l'œuvre représentée. L'esthétisme joue ici, une fois de plus, comme un alibi, il couvre une irresponsabilité : c'est d'ailleurs si constant chez Barrault que l'on pourrait appeler toute beauté gratuite des costumes le style Marigny. Ceci était déjà sensible dans la Bérénict de Barrault, qui n'avait pas été cependant jusqu'à habiller Pyrrhus en Romain, Titus en marquis de Louis XIV et Bérénice en drapé de chez Fath : c'est pourtant l'équivalent de ce mélange que nous donne L'Orestit.
La disjonction des styles atteint aussi gravement le jeu des acteurs. On pouvait penser que ce jeu aurait au moins l'unité de l'erreur; même pas : chacun dit le texte à sa guise, sans se soucier du style du voisin. Robert Vidalin joue Agamemnon selon la tradition désormais caricaturale du Théâtre-Français : sa place serait plutôt dans quelque parodie menée par René Clair. A l'opposé, Barrault pratique une sorte de « naturel », hérité des rôles rapides de la comédie classique; mais à force de vouloir éviter l'emphase traditionnelle, son rôle s'amenuise, devient tout plat, tout frêle, insignifiant : écrasé par l'erreur de ses camarades, il n'a pas su leur opposer une dureté tragique élémentaire.
A côté, Marie Bell joue Clytemnestre comme du Racine ou du Bernstein (de loin, c'est un peu la même chose). Le poids de cette tragédie millénaire ne lui a pas fait abandonner le moins du monde sa rhétorique personnelle; il s'agit à chaque instant d'un art dramatique de l'intention, du geste et du regard lourds de sens, du secret signifié, art propre à jouer tout théâtre de la scène conjugale et de l'adultère bourgeois, mais qui introduit dans la tragédie une rouerie, et pour tout dire une vulgarité, qui lui sont totalement anachroniques. C'est précisément ici que le malentendu général de [74] l'interprétation devient le plus gênant, car il s'agit d'une erreur plus subtile : il est vrai que les personnages tragiques manifestent des « sentiments »; mais ces « sentiments » (orgueil, jalousie, rancune, indignation) ne sont nullement psychologiques, au sens moderne du mot. Ce ne sont pas des passions individualistes, nées dans la solitude d'un cœur romantique; l'orgueil n'est pas ici un péché, un mal merveilleux et compliqué; c'est une faute contre la cité, c'est une démesure politique; la rancune n'est jamais que l'expression d'un droit ancien, celui de la vendetta, cependant que l'indignation n'est jamais que la revendication oratoire d'un droit nouveau, l'accession du peuple au jugement réprobateur des anciennes lois. Ce contexte politique des passions héroïques en commande toute l'interprétation. L'art psychologique est d'abord un art du secret, de k chose à la fois cachée et confessée, car il est dans les habitudes de l'idéologie essentialiste de représenter l'individu comme habité à son insu par ses passions : d'où un art dramatique traditionnel qui consiste à faire voir au spectateur une intériorité ravagée sans pourtant que le personnage en laisse deviner la conscience; cette sorte as jeu (au sens à la fois d'inadéquation et de tricherie) fonde un art dramatique de la nuance, c'est-à-dire en fait d'une disjonction spécieuse entre la lettre et l'esprit du personnage, entre sa parole-sujet et sa passion-objet. L'art tragique, au contraire, est fondé sur une parole absolument littérale : la passion n'y a aucune épaisseur intérieure, elle est entièrement extravertie, tournée vers son contexte civique. Jamais un personnage « psychologique » ne dira : « Je suis orgueilleux » ; Clytemnestre, elle, le dit, et toute la différence est là. Aussi rien n'est plus surprenant, rien ne signifie mieux l'erreur fondamentale de l'interprétation, que d'entendre Marie Bell proclamer dans le texte une passion dont toute sa manière personnelle, dressée par la pratique de centaines de pièces « psychologiques », manière retorse et « comédienne », dément l'extériorité sans ombre et sans profondeur. Seule Marguerite Jamois (Cassandre) me paraît avoir approché cet art du constat que nous aurions souhaité voir s'étendre à toute k tragédie : elle voit et dit, elle dit ce qu'elle voit, un point c'est tout.
Oui, la tragédie est un art du constat, et c'est précisément tout ce qui contredit à cette constitution qui devient vite intolérâble. [75] Claudel l'avait bien vu, qui réclamait pour le choeur tragique une immobilité têtue, presque liturgique. Dans sa préface à cette même Orestie, il demande que l'on place les choreutes dans des stalles, qu'on les asseye d'un bout du spectacle à l'autre, et que chacun ait devant lui un lutrin où il lira sa partition. Sans doute cette mise en scène-là est-elle en contradiction avec la vérité « archéologique », puisque nous savons que le chœur dansait. Mais comme ces danses nous sont mal connues, et comme de plus, même bien restituées, elles n'auraient pas sur nous le même effet qu'au ve siècle, il faut absolument trouver des équivalences. En restituant au chœur, à travers une correspondance liturgique occidentale, sa fonction de commentateur littéral, en exprimant la nature massive de ses interventions, en lui donnant d'une façon explicite les attributs modernes de la sagesse (le siège et le pupitre), et en retrouvant son caractère profondément épique de récitant, la solution de Claudel paraît être la seule qui puisse rendre compte de la situation du chœur tragique. Pourquoi n'a-t-on jamais essayé ?
Barrault a voulu un chœur « dynamique », « naturel », mais en fait ce parti témoigne du même flottement que le reste de la représentation. Cette confusion est encore plus grave ici, car le chœur est le noyau dur de la tragédie : sa fonction doit être d'une évidence indiscutable, il faut que tout en lui, parole, vêtement, situation, soit d'un seul bloc et d'un seul effet; enfin, s'il est « populaire », sentencieux et prosaïque, il ne peut s'agir à aucun moment d'une naïveté « naturelle », psychologique, individualisée, pittoresque. Le chœur doit rester un organisme surprenant, il faut qu'il étonne et dépayse. Ce n'est certes pas le cas du chœur au Marigny : on y retrouve deux défauts contraires, mais qui passent tous deux au delà de la vraie solution : l'emphase et le « naturel ». Tantôt les choreutes évoluent selon de vagues dessins symétriques, comme dans une fête de gymnastique (on ne dira jamais asse2 les ravages de l'esthétique Poupard dans la tragédie grecque); tantôt ils cherchent des attitudes réalistes, familières, jouent à l'anarchie savante des mouvements; tantôt ils déclament comme des pasteurs en chaire, tantôt ils prennent le ton de la conversation. Cette confusion des styles installe sur le théâtre une faute qui ne pardonne pas : l'irresponsabilité. Cette sorte d'état velléitaire du [76] chœur paraît encore plus évident, sinon dans la nature, du moins dans la disposition du substrat musical : on a l'impression d'innombrables coupures, d'une mutilation incessante qui coupe le concours de la musique, la réduit à quelques échantillons montrés à la sauvette, d'une façon presque coupable : il devient difficile dans ces conditions de k juger. Mais ce que l'on peut en dire, c'est que nous ne savons pas pourquoi elle est là et quelle est l'idée qui en a guidé k distribution.
UOrestie de Barrault est donc un spectacle ambigu où l'on retrouve, d'ailleurs seulement à l'état d'ébauches, des options contradictoires. Il reste donc à dire pourquoi la confusion est ici plus grave qu'ailleurs : c'est parce qu'elle contredit le seul rapport qu'il nous soit possible d'avoir aujourd'hui avec la tragédie antique, et qui est la clarté. Représenter en 1955 une tragédie d'Eschyle n'a de sens que si nous sommes décidés à répondre clairement à ces deux questions : qu'était exactement UOrestie pour les contemporains d'Eschyle? Qu'avons-nous à faire, nous, hommes du xx* siècle, avec le sens antique de l'œuvre ?
A k première question, plusieurs écrits aident à répondre : d'abord l'excellente introduction de Paul Mazon à sa traduction de la Collection Guillaume Budé; puis, sur le plan d'une sociologie plus large, les livres de Bachofen, d'Engels et de Thomson (2). Replacée à son époque, et en dépit de la position politique modérée d'Eschyle lui-même, UOrestie était incontestablement une œuvre progressiste; elle témoignait du passage de k société matriarcale, représentée par les Êrinnyes, à la société patriarcale, représentée par Apollon et Athéna. Ce n'est pas le lieu ici de développer ces thèses, qui ont bénéficié d'une explication largement socialisée. Il suffit de se convaincre que UOrestie est une œuvre profondément politisée : elle est l'exemple même du rapport qui peut unir une structure historique précise et un mythe particulier^. Que d'autres s'exercent, s'ils veulent, à y découvrir une problématique éternelle du Mal et du Jugement; cela n'empêchera jamais que UOrestie soit avant tout l'œuvre d'une époque précise, d'un état social défini et d'un débat moral contingent.
2. Bachofen, L* Droit maternel (1861); Engels, UOrigne dt la Famille, de la Propriété privée et de l'État (4* édition, 1891); George Thomson, fèicbylus and Athens (1941). [77]
Et c'est précisément cet éclaircissement qui nous permet de répondre à la seconde question : notre rapport à L'Orestit, à nous, hommes de 19)5, c'est l'évidence même de sa particularité. Près de vingt-cinq siècles nous séparent de cette œuvre : le passage du matriarcat au patriarcat, la substitution de dieux nouveaux aux dieux anciens et de l'arbitrage au talion, rien de tout cela ne fait plus guère partie de notre histoire; et c'est en raison de cette altérité flagrante que nous pouvons juger d'un regard critique un état idéologique et social où nous n'avons plus part et qui nous apparaît désormais objectivement dans tout son éloignement. UOrestie nous dit ce que les hommes d'alors essayaient de dépasser, l'obscurantisme qu'ils tentaient peu à peu d'éclaircir; mais elle nous dit en même temps que ces efforts sont pour nous anachroniques, et que les dieux nouveaux qu'elle voulait introniser sont des dieux que nous avons à notre tour vaincus. Il y a une marche de l'histoire, une levée difficile mais incontestable des hypothèques de la barbarie, l'assurance progressive que l'homme tient en lui seul le remède de ses maux, dont nous devons sans cesse nous rendre conscients parce que c'est en voyant k marche parcourue que l'on prend courage et espoir pour toute celle qui reste encore à parcourir.
C'est donc en donnant à L'Oresfie son exacte figure, je ne dis pas archéologique, mais historique, que nous manifesterons le lien qui nous unit à cette œuvre. Représentée dans sa particularité, dans son aspect monolithique, progressif par rapport à son propre passé, mais barbare par rapport à notre présent, la tragédie antique nous concerne dans la mesure où elle nous donne à comprendre clairement, par tous les prestiges du théâtre, que l'histoire est plastique, fluide, au service des hommes, pour peu qu'ils veuillent bien s'en rendre maîtres en toute lucidité. Saisir la spécificité historique de UOrestie, son originalité exacte, c'est pour nous la seule façon d'en faire un usage dynamique, doué de responsabilité.
C'est pour cela que nous récusons une mise en scène confuse, où les options, timides et partiellement honorées, tantôt archéologiques et tantôt esthétiques, tantôt essentialistes (un débat moral éternel) et tantôt exotiques (k fête nègre) concourent finalement toutes, dans leur va-et-vient brouillon, à nous ôter le sentiment d'une œuvre claire, définie dans et par l'histoire, lointaine comme un passé qui a été le nôtre, mais dont nous ne voulons plus. Nous demandons qu'à chaque coup et d'où qu'il vienne, le théâtre nous dise le mot d'Agamemnon :
« Les liens si dénouent, le remède existe. »
1955, Théâtre populaire.
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