jeudi 9 juin 2011

Margot Ferrera


Je suis Margot, je pratique le théâtre en option lourde depuis l’année dernière, n’ayant pas commencé en seconde, comme la majorité des filles du groupe. Mais depuis que je suis petite, je recherche toujours des moyens de me détacher du monde bien réglé et terne de la vie de tous les jours, par le dessin tout d’abord, puis par la danse. Je suis bonne élève et sérieuse, pourtant j'essaie à tout prix de sortir d'un carcan scolaire et prosaïque. J'avais besoin de rencontrer des personnes qui avaient elles aussi ce besoin de rêver, de s'embarquer dans une aventure différente, vraiment humaine. C'est peut être un lieu commun mais j'étais très réservée voire fermée avant de rentrer en Première. J'ai seulement eu une expérience en primaire où j'avais joué une petite forme avec ma classe. Cela m'avait passionné, non seulement pour ce qu'on nous demandait sur le plateau, le jeu dans sa généralité, mais aussi pour tous les "à côté" : tout un groupe qui s'implique, rit ensemble en coulisses. L'idée d'un univers un peu fou qui contamine notre univers quotidien. On ne pense plus qu'à ça. Une expérience entière.
En effet, depuis 2 ans maintenant, notre professeur Julien Dieudonné nous pousse à ouvrir notre esprit créatif chaque jour un peu plus, à se débarrasser de toute gêne et inhibition pour nous plonger en totale immersion dans les textes et univers des auteurs que nous abordons, avec une grande rigueur. Le groupe (nous sommes 17 filles) est très important. Ajoutée à une aide sur le travail, il y a un vrai soutien dans les interrogations, les angoisses, dans la motivation. Je m'en rend compte aujourd'hui, chacune des filles laisse un petit chromosome en moi, soit parce que je les admire et essaie de rejoindre leur niveau, soit parce que je me reconnais en elles quand elles piétinent et c'est l'occasion d'avancer ou d'aider à avancer. Le théâtre fait partie de ce que j'affectionne le plus aujourd'hui. C'est un sas mais aussi un plus pour notre vie future, d'un point de vue scolaire/professionnel et intime. Ecouter, accepter la remarque (car elle a toujours un fond constructif, quoiqu'on en pense), se mettre au diapason de l'autre. Etre naturel, c'est quelque chose qu'on perd un peu (voire totalement) au lycée. Avec les filles, on a moins peur du risque de "casser" son image. On se construit un vrai univers, qu'on a plaisir à partager. Depuis que je fais du théâtre, j'ai beaucoup plus de facilité à parler avec des gens, rire d'une anecdote avec un inconnu en faisant la queue dans un restaurant, que sais-je ?! C'est terre-à-terre, mais c'est une vraie métamorphose !

L’année dernière, nous avons adapté l’œuvre fondatrice d’Homère, l’Odyssée, qui fut un long et intense travail de mise en scène, de coordination : cela fut très formateur, et si je puis me permettre, nous avons pris un pied énorme dans ce projet. En déambulation dans le lycée Montesquieu d’Herblay, nous jouions les différents chants homériques réadaptés selon de nombreux partis pris (le cinéma muet et hollywoodien, le péplum, l’animation...) dans les salles, et chacune avait son rôle à jouer à un moment déterminé, car de nombreux accessoires, effets sonores et de lumières étaient sollicités. Nous jouions tout : le comique, l’épique, le tragique, le conte.. Nous avons même dansé et chanté ! Chacune apportait son idée, et même n’ayant pas de texte (malheureusement, beaucoup de rôles étaient muets) la pièce était chorale. Pour ma part, je jouais le rôle d’Ulysse, et j’avais une grande partition textuelle et chantée. Je devais de plus me «grimer » : transformer ma voix, ma posture, et mon apparence et cela m’a appris à donner mon texte sans aucune barrière physique et quelques soient les circonstances, fussent elles inconfortables (couverte de faux sang, enrubannée dans un drap où j’étouffe, mouillée sous la pluie..) et à raconter quelque chose en laquelle je crois, emmener le spectateur ailleurs. Je ne sais pas si j’y suis parvenue, mais c’est ce que mes camarades et moi nous nous efforçons de faire, car c’est notre rêve.

Cette année, nous ne travaillons plus dans les mêmes conditions. La perspective du baccalauréat nous amène à vous donner une représentation de notre travail, qui ne s'articule pas autour d'un récit en particulier, mais 3, autonomes et singuliers (l'Acte Inconnu de Valère Novarina, Agamemnon d'Eschyle, L'illusion comique de Pierre Corneille). Trouver une articulation à ces trois univers était à la fois laborieux et évident. Dès le début de l'année, nous avons trouvé la piste de la peinture sur scène (on a fait un rapprochement entre la matière plastique sur la toile et toute cette thématique de la naissance, celle d'un monde sous nos yeux, la démiurgie novarinienne). J'ai pensé à cet élément de la mise en scène d'Incendies de Wajdi Mouawad , ce rouleau blanc qui recouvre entièrement la scène alors que celle ci est souillée par la peinture rouge (le sang de Simon, qui se bat sur un ring de boxe), dans le but de la purifier et de passer à une autre étape de la pièce, une autre étape de la vie de ce personnage. Ce passage m'avait particulièrement frappé. Notre travail n'a non pas une logique d'effacement, mais de création perpétuelle.
Dans Agamemnon, j'interprète avec Anastasia, Charlène et Elodie l'épouse de celui ci, Clytemenestre, au moment où il rentre de Troie après dix ans de guerre. Elle l'accueille, endurcie par la douleur qu'elle a ressenti durant son absence (les rumeurs à propos de ces liaisons et de sa prétendue mort l'ont éreintée) les bras grands ouverts. Elle l'incite à la rejoindre dans le lit conjugal, caressante. Mais c'est un piège.
Dans L'Acte Inconnu, je prend en charge la partition du Mangirier Olam et de l'Enfant de Destruction. Nous avons opéré un vrai effacement de nous même, tout au long de l'année, pour retourner dans l' "Utérus du théâtre" si je peux me permettre cette expression. Un numéro de clown totalement épique, un retour à la création, décomplexée et sans limite. Lorsque je joue ce dernier, je suis forte de la scène précédente, Épave d'une maison, où lors d'une improvisation j'ai investis le rôle du Chien, dont il est question à un moment donné. M'abandonner à l'animalité m'a vraiment débridée, et me donne une craie énergie, un vrai désir de toujours réinventer ce Chien savant, de jouer avec. L'Enfant de Destruction est encore plein de bestialité, et pourtant il parle, sous l'impulsion de sa Mère Vivipare (Anastasia) "au regard d'acier". Lorsque le Mangirier Olam vient sur la toile noire présenter sa thèse, dessiner, définir ce qu'est le Langage, je démontre quelque chose qui n'a aucun sens pour le spectateur : c'est vraiment jouissif.
Enfin, dans l'Illusion Comique, Matamore était cette année, avec Alcandre, les deux points centraux qui furent travaillés. Avec Valentine, Assia, Laurine et Elodie, je prenais en charge la partition de Matamore. J'interviens juste avant l'enchaînement avec la scène des Cassandre, et le Matamore que j'interprète profère des menaces de mort plus mirobolantes les unes que les autres. A la fois dans un jeu grotesque et excessif, nos partitions ont toute une couleur singulière. La mienne serait, disons, poétique et dansée. C'est un peu le noeud que j'ai rencontré cette année, mais je le défais peu à peu, et m'approprie doucement ce masque rouge qu'il me faut porter.

Ce qui me "botte" particulièrement dans notre travail cette année, c'est la perspective d'abandonner Margot et de devenir un animal théâtral, un être tantôt canin, félin, séducteur puis repoussant, désopilant ou émouvant. Me donner à voir comme on ne m'a jamais vue. Ces choses qui sortent de moi me remplissent (tiens, c'est très antithétique) de surprise et de joie. J'ai, comme la plupart de mes camarades, envie d'en donner toujours plus, de retourner encore en encore sur la toile, et de partager cela avec elle et les futurs spectateurs.


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