jeudi 31 mars 2011

Analyse de spectacle - Maison de poupée Ibsen/Veronese


Nous avons assisté le jeudi 31 mars à une représentation de l’adaptation de la pièce phare d’Henrik Ibsen par Daniel Veronese, grand metteur en scène et dramaturge argentin, dans sa version originale sous-titrée. Veronese opère un travail singulier sur Ibsen, en effectuant une double lecture avec Hedda Gabler : loin d’adapter ces deux pièces à la sauce « XXIe siècle », il les relie et les fouille afin de les « épurer » ; il leur donne un sens non atemporel (car Maison de Poupée, par son écriture, l’est déjà) mais essentiel, universel.
Tout d’abord, Veronese effectue un premier mouvement de resserrement scénographique et dramatique.
Il choisit pour l’univers d’Ibsen un intérieur rudimentaire, modeste et assez impersonnel qui est le cadre du foyer dans son aspect le plus basique, comme un « appartement témoin » du quotidien humain de la classe moyenne. C’est aussi, nous le verrons plus tard, un espace qui apparait comme clos, un petit vivarium où les personnages ont l’illusion de pouvoir entrer et sortir quand ils veulent, mais c’est une illusion. Il crée des jeux en hors-champs, scènes cachées et honteuses de la vie de tous les jours. Nous entrons dans la salle et déjà, Cristina et le Docteur Rank discutent sur un sofa. Ambiguë cette entrée en matière : sont-ce les personnages qui papotent (dans ce cas nous avons la sensation de pénétrer leur quotidien à leur insu) ou les actrices ? Daniel Veronese a, très certainement, voulu « désacraliser » cette obligation du décor, qui peut anesthésier l’enjeu de la pièce, comme c’est le cas dans un grand nombre de mises en scènes. Ici, les comédiens semblent avoir un rapport détaché à la scénographie, qui est un simple support de jeu, parce qu’il fallait bien représenter la maison de Nora et Jorge à un moment donné. Le titre de Maison de Poupée prend son sens pour moi ; Ken et Barbie (sans les assimiler à Jorge et Nora, qui sont des anti-Ken et Barbie !) ont besoin d’une maison, mais une petite fille se préoccupe d’abord de l’histoire qu’elle leur fait vivre et raconter.
Par « resserrement dramatique », je veux dire « radicalisation des personnages ». Ici les cinq personnages initiaux (Jorge et Nora, Cristina, le Docteur Rank, Krogstad) sont en quelque sorte réduits à trois entités : celle de Nora, celle de Jorge, bien distinctes, et celle de Cristina-Rank-Krogstad qui deviennent beaucoup plus secondaires que dans la mise en scène de Martinelli par exemple, où le vécu et le ressenti de chacun prend plus de place dans la représentation, dans la signification du récit. Chez Veronese, ces trois personnages sont des silhouettes quotidiennes qui viennent peupler l’espace de l’appartement de Nora et Jorge. On retrouve certains stéréotypes de la société : le Dr Rank se transforme en lesbienne pique-assiette, meilleure amie envahissante et exclusive de Nora, une sorte de double « virilisé » , Cristina et Krogstad gardent leurs identités de veufs au chômage qui cherchent quelqu’un à qui s’accrocher. Ce sont des électrons libres qui parasitent (ou camouflent) le noyau qu’est le couple. Lorsqu’ils disparaissent, c’est comme si Veronese arrachait « l’épiderme social » de Jorge et Nora (celui du cinéphile bien en chair, celui de la femme au foyer légère et dépensière) fait de banalité et de jovialité convenue. On ne peut plus se réfugier derrière les témoins, la chair est à vif, laide et écorchée. Veronese débarrasse la pièce d’Ibsen de la peau morte des mises en scènes antérieures, au décor surfait et étouffant (qui, comme dans l’adaptation de Martinelli, fige les personnages dans un éther artificiel et les rend plus ou moins creux) et met le couple à nu sur scène. Le couple millénaire, le regard tout aussi ancien de l’un sur les défauts de l’autre, le combat banal et journalier. C’est là le centre même de la pièce.

Au lie de fondre Nora et Jorge dans un contexte social et temporel arrêté, qui semble une étape obligée pour beaucoup de metteurs en scène (dans le cas de Martinelli - oui, je le critique beaucoup ! - un cadre pseudo « seventies » froid) Veronese, au contraire, les en fait émerger et surplomber ce magma tiède de leur quotidien. Il traite les deux personnages de manière incisive et épurée, explore chaque parcelle de leur être, bonne et mauvaise, tout entiers et débarrassées de leur étiquette. Au fil de la représentation, ces figures connues du théâtre nous surprennent, créent un certain suspense même si nous connaissons l’histoire, car la mise en scène de Daniel Veronese va partout, dans toutes les pistes possibles, et ne se limite pas au shéma « yin yang » oridnaire.
Jorge n’est pas seulement l’homme d’affaire pantouflard et machiste, c’est aussi un homme riche en culture cinématographique (ce trait de caractère est bien sûr ajouté par Veronese, car au XIXe siècle - siècle de parution de Maison de Poupée - il ne pouvait évidemment pas donner son avis sur un film d’Ingrid Bergman !) qui malgré son embonpoint très « nounours » dégage une certaine sensualité ténébreuse, ainsi qu’une grande violence, qui choque le spectateur car elle émane d’un corps qui semble inoffensif (lorqu’il projette Nora contre le mur de la cuisine, nous voyons jusqu‘où Jorge est capable d’aller pour asseoir son autorité, enfermé dans sa fierté de mâle).
Quant à Nora, nous retrouvons « l’oiseau chanteur » qui amuse la galerie, et qui se débat dans sa petite maison (elle saute partout, est très vive dans son phrasé et ses gestes, fait sans cesse des claquettes comme si elle rejouait le numéro qu’elle donne depuis toute petite - elle était enfant « l’oiseau chanteur » de son père, et de tous les hommes de la famille - rituel qui semble la rassurer) essaies d’attirer l’attention de son mari et des invités. Mais quand elle est seule, elle s’interroge et sort de cette insouciance juvénile. Elle est à la fois consciente de sa situation (elle est la poupée de son mari) et se le dissimule à elle-même. Elle joue la comédie devant son mari qu’elle cajole mais, quad le vernis craque, est aussi capable d’être dure (drôle de paradoxe), de résister à son mari, en tout cas de survivre à ce qu’il lui fait. Ici, la singularité féministe propre à la pièce d’Ibsen ressurgit, mais elle n’est pas le ressort essentiel de la pièce, la « béquille » sur laquelle Veronese s’appuie, la porte de sortie obligée. Tout peut arriver, car Nora et Jorge sont capables de tout, peut être des choses dont nous n’avons pas conscience et qui ne sont pas inscrites dans le drame : la fin « en queue de poisson » de la représentation en est la preuve, à la fois frustrante pour le spectateur et logique dans la démarche de Veronese. Cette main de Jorge qui se pose sur celle de son épouse lorsqu’elle saisit ses clefs pour quitter le foyer dans la nuit signifie-t-elle « Non, ne pars pas, je t’en supplie » ? « Non, tu ne partiras pas, moi vivant » ? Et Nora, restera-t-elle clouée dans son salon par l’orgueil de son mari ? Arrachera-t-elle sa main de celle de Jorge en partant sans se retourner ? Il me semble que Veronese ne veut pas donner au spectateur une fin « girl power », qui héroïserait Nora et vampiriserait Jorge. Nora est capable de se soumettre une fois de plus, et son mari de devenir bon. Encore une fois tout est possible, et c’est là qu’est le tragique : après tout ce qu’elle a du subir, cet horizon libéré que lui promettent Ibsen et Veronese est menacé, et ce renoncement d’elle-même n’aura servi à rien.

Cette adaptation m’a beaucoup touchée, par la grande profondeur et justesse de Veronese quant au traitement des deux personnages principaux, qui fouille dans leur psychologie sans tomber le mélo sentimental ou le « plaquage » de schémas psychanalytiques. Les acteurs viennent au devant de nous, sans chichis, naturels et imparfaits, dans la vérité, ni idéalisée ni fatalisée. Le « développement de cette civilisation à venir » semble enclenché depuis longtemps, car on peut se voir dans les figures ambivalentes et universelles de Jorge et Nora mais aussi, de manière plus discrète, dans celle de Cristina ou de Krogstad. Ce développement est une répétition éternelle de situations communes à tous, dont on a essayé, essaie et essaiera toujours de sortir, en se confrontant aux autres et à soi même, en se faisant violence. Daniel Veronese donne une bouffée d’air à ce chef d’œuvre déjà inscrit dans la postérité : nous ne formerons jamais de familles et couples modèles, alors revoyons nos a priori à la baisse, et aimons nous.


1 commentaire:

  1. le site fait mal aux yeux et le texte n'est pas assez aéré...

    du coup, on ne lit rien au final.

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