Daniel Buren Le Temps d'une oeuvre 2005 Musée d'art contemporain de Lyon : une piste scénographique intéressante pour L'Illusion comique
L'entretien qui suit peut servir de base à la correction des devoirs à laquelle nous nous attèlerons à la rentrée : les propos de Brigitte Jaques-Wajeman sur le caractère initiatique de la pièce, sur les personnages d'Alcandre (et sur sa grotte), de Pridamant, de Matamore ou des jeunes gens comme Clindor entrent efficacement et très clairement en écho avec ce que l'on a pu se dire en cours ou ce que les documents des devoirs tâchaient de vous dévoiler.
Pour vous aider, j'ai souligné ce qui me paraît particulièrement éclairant et digne d'être mémorisé par une candidate au bac théâtre...
Entretien avec Brigitte Jaques-Wajeman metteure en scène
UNE ILLUSION COMIQUE ET INITIATIQUE
BJW Le sens de L’Illusion comique réside, je crois, dans une double initiation, celle du père et du fils, tous deux transformés par le théâtre qui leur permet de réparer leur relation brisée. Tantôt par le rire et tantôt par les larmes, en provoquant un plaisir très contrasté, Corneille nous dit que c’est seulement à travers la fiction que la vérité peut apparaître. Je pense qu’aujourd’hui encore, le théâtre doit pouvoir révéler au spectateur quelque chose sur lui-même et ses désirs. C’est la profondeur de cette comédie que d’être une grande pièce initiatique.
AMM Vous avez monté plusieurs tragédies de Corneille, une comédie, La Place royale, et vous vous attelez maintenant à cette « galanterie extravagante », comme Corneille l’appelait lui-même, qu’est L’Illusion comique. Est-ce que cette pièce se démarque radicalement du reste de son œuvre ?
BJW Non, entre La Place royale, que Corneille écrit en 1634, et L’Illusion comique qui suit presque aussitôt, il y a, à mon sens, une vraie continuité. Dans les deux pièces on retrouve la même jeunesse débridée, désirante et sensuelle, la même révolte contre les pères et une croyance absolue en l’amour. Mais L’Illusion comique annonce aussi, dans la tragédie qui se joue à l’acte 5, les personnages du Cid qu’il compose peu après.
Par contre, le personnage de Matamore est unique dans toute l’œuvre de Corneille. Corneille se vantait d’avoir inventé un nouveau genre de comédie, qui se passe des personnages de la Commedia dell’Arte pour ne montrer, comme le fera Marivaux, que des gens de son temps. Et subitement il réintroduit ici un personnage qui arrive du fin fond du théâtre, qui vient de Plaute et même déjà d’Aristophane. C’est fascinant et très étonnant. Le personnage est pour moi une réussite éblouissante, comme un immense clown figurant la dérision même. Il incarne le langage et son pouvoir de créer des mondes, il révèle le plaisir absolu de l’invention et de la fiction.
AMM Corneille écrit la pièce, qui reste sa pièce la plus baroque, en 1635. En 1660, ayant fait siennes les consignes classiques, il y apporte de sérieuses modifications, comme à toutes ses comédies. Quelle version avez-vous choisie ?
BJW J’ai choisi la première version, mâtinée cependant de quelques modifications de 1660.
Certains changements qu’il introduit sont dus à l’évolution de la langue qui était très instable à cette époque ; ceux-ci sont donc salutaires car ils permettent une expression plus claire. D’autres changements, dommageables quant à eux, concernent la bienséance. Le texte de 1635 possède une dimension charnelle que l’auteur édulcore considérablement en 1660, notamment au 5e acte, dans lequel il va même jusqu’à enlever un personnage, celui de Rosine.
Or dans cet acte, qui met en scène une mini-tragédie, on assiste à une scène conjugale où un homme dit à une femme la différence entre le désir et l’amour. Il l’assure de ses sentiments, tout en lui avouant son désir pour une autre et sa recherche impérative d’un plaisir dont il sait pourtant qu’il va s’évanouir à l’instant même où il l’aura atteint. C’est d’une grande audace. Et lorsque la femme avec laquelle il a rendez-vous arrive, elle est aussi folle de désir et réclame à son amant son dû de sensualité. Il y a là un jeu extraordinaire sur les sentiments et le désir.
AMM Dans la pièce, c’est Alcandre qui mène le jeu ; mais qui est-il pour vous ? un magicien capable d’animer des spectres ou un metteur en scène dirigeant des comédiens ?
BJW On ne peut pas trancher. Il me semble néanmoins qu’il y a aujourd’hui un antre magique dans lequel apparaissent des spectres : c’est le cinéma, qui a toujours été pour moi le lieu même de l’illusion. Il me paraît intéressant de s’y référer dans la pièce, et je voudrais plutôt faire d’Alcandre un grand réalisateur, un Fellini par exemple – Matamore est d’ailleurs un personnage très fellinien – qui travaillerait dans un studio de cinéma et déciderait de montrer des fragments de son film…
AMM Alcandre a en face de lui un spectateur – Pridamant, le père de Clindor – qui prend l’illusion pour la réalité et qui, de ce fait, vit tout au premier degré, sans protection…
BJW Oui. De ce point de vue il est comme un enfant qui ne comprend pas bien le fonctionnement de l’illusion. Et Alcandre le convie en effet à une épreuve dangereuse : il l’introduit dans une grotte dont Corneille nous dit que l’entrée comme la sortie entraînent un danger de mort. Même si on rit, il y a une gravité dans cette initiation dont je voudrais préserver le mystère.
En fait Alcandre est un peu dans la position de l’analyste qui accompagne son patient, venu le consulter pour sortir de son désespoir et de sa solitude, dans une expérience qui doit le mener vers la guérison, une expérience qui va l’amener à comprendre qu’il peut voir, voir la vérité en face, sans mourir.
Propos recueillis par Arielle MEYER MACLEOD
AMM Vous avez monté plusieurs tragédies de Corneille, une comédie, La Place royale, et vous vous attelez maintenant à cette « galanterie extravagante », comme Corneille l’appelait lui-même, qu’est L’Illusion comique. Est-ce que cette pièce se démarque radicalement du reste de son œuvre ?
BJW Non, entre La Place royale, que Corneille écrit en 1634, et L’Illusion comique qui suit presque aussitôt, il y a, à mon sens, une vraie continuité. Dans les deux pièces on retrouve la même jeunesse débridée, désirante et sensuelle, la même révolte contre les pères et une croyance absolue en l’amour. Mais L’Illusion comique annonce aussi, dans la tragédie qui se joue à l’acte 5, les personnages du Cid qu’il compose peu après.
Par contre, le personnage de Matamore est unique dans toute l’œuvre de Corneille. Corneille se vantait d’avoir inventé un nouveau genre de comédie, qui se passe des personnages de la Commedia dell’Arte pour ne montrer, comme le fera Marivaux, que des gens de son temps. Et subitement il réintroduit ici un personnage qui arrive du fin fond du théâtre, qui vient de Plaute et même déjà d’Aristophane. C’est fascinant et très étonnant. Le personnage est pour moi une réussite éblouissante, comme un immense clown figurant la dérision même. Il incarne le langage et son pouvoir de créer des mondes, il révèle le plaisir absolu de l’invention et de la fiction.
AMM Corneille écrit la pièce, qui reste sa pièce la plus baroque, en 1635. En 1660, ayant fait siennes les consignes classiques, il y apporte de sérieuses modifications, comme à toutes ses comédies. Quelle version avez-vous choisie ?
BJW J’ai choisi la première version, mâtinée cependant de quelques modifications de 1660.
Certains changements qu’il introduit sont dus à l’évolution de la langue qui était très instable à cette époque ; ceux-ci sont donc salutaires car ils permettent une expression plus claire. D’autres changements, dommageables quant à eux, concernent la bienséance. Le texte de 1635 possède une dimension charnelle que l’auteur édulcore considérablement en 1660, notamment au 5e acte, dans lequel il va même jusqu’à enlever un personnage, celui de Rosine.
Or dans cet acte, qui met en scène une mini-tragédie, on assiste à une scène conjugale où un homme dit à une femme la différence entre le désir et l’amour. Il l’assure de ses sentiments, tout en lui avouant son désir pour une autre et sa recherche impérative d’un plaisir dont il sait pourtant qu’il va s’évanouir à l’instant même où il l’aura atteint. C’est d’une grande audace. Et lorsque la femme avec laquelle il a rendez-vous arrive, elle est aussi folle de désir et réclame à son amant son dû de sensualité. Il y a là un jeu extraordinaire sur les sentiments et le désir.
AMM Dans la pièce, c’est Alcandre qui mène le jeu ; mais qui est-il pour vous ? un magicien capable d’animer des spectres ou un metteur en scène dirigeant des comédiens ?
BJW On ne peut pas trancher. Il me semble néanmoins qu’il y a aujourd’hui un antre magique dans lequel apparaissent des spectres : c’est le cinéma, qui a toujours été pour moi le lieu même de l’illusion. Il me paraît intéressant de s’y référer dans la pièce, et je voudrais plutôt faire d’Alcandre un grand réalisateur, un Fellini par exemple – Matamore est d’ailleurs un personnage très fellinien – qui travaillerait dans un studio de cinéma et déciderait de montrer des fragments de son film…
AMM Alcandre a en face de lui un spectateur – Pridamant, le père de Clindor – qui prend l’illusion pour la réalité et qui, de ce fait, vit tout au premier degré, sans protection…
BJW Oui. De ce point de vue il est comme un enfant qui ne comprend pas bien le fonctionnement de l’illusion. Et Alcandre le convie en effet à une épreuve dangereuse : il l’introduit dans une grotte dont Corneille nous dit que l’entrée comme la sortie entraînent un danger de mort. Même si on rit, il y a une gravité dans cette initiation dont je voudrais préserver le mystère.
En fait Alcandre est un peu dans la position de l’analyste qui accompagne son patient, venu le consulter pour sortir de son désespoir et de sa solitude, dans une expérience qui doit le mener vers la guérison, une expérience qui va l’amener à comprendre qu’il peut voir, voir la vérité en face, sans mourir.
Propos recueillis par Arielle MEYER MACLEOD
Un petit quelque chose m'a fait tilt :
RépondreSupprimerBJW parle d'un immense pouvoir de création de Matamore, un don pour faire naître des mondes. Ca me fait penser au pouvoir quasi démiurgique du texte de Novarina, qui fait apparaitre des petits bonhommes bizarres par le seul biais de la parole. Comme on a parlé de la terre glaise, la peinture, etc... on pourrait garder le fil conducteur de la création organique sur Novarina et peut être aussi pour l'Illusion Comique. J'explique mon idée fumeuse : si c'est possible biensur, realiser des petits personnages en pâte a modeler ou glaise, comme naitraient de nouveaux Adam et Eve. Et Matamore pourrait réutiliser ces petits personnages, comme pour jouer à la guerre avec ses petits soldats, ou utiliser des jouets d'enfants (Barbies, Action Men, nounours peut être ?)car il est le souverain d'un royaume interieur, comme quand on est petit. Bon voila une idée comme ça qui me passait par la tête :D
Oui, Margot, en effet, il y a un "pont" ou une "passerelle" intéressante ici de Novarina à Corneille via Matamore : car cette faculté démiurgique de Matamore repose tout entière sur le langage : pour Matamore, dire, c'est être et faire : il lui suffit d'entrer dans la parole pour exister sur un mode héroïque et faire naître tout un monde en effet ou pour détruire, massacrer, faire disparaître : on peut donc imaginer que Matamore au milieu des parlants novariniennes ne dépareraient pas ! Qu'en tout cas certaines de ses tirades les plus logorrhéïques pourraient tout à coup paraître étrangement novarinienne.
RépondreSupprimerEt l'idée de faire surgir ce monde de la glaise est très intéressante : reste à l'expérimenter sur le plateau...
En tout cas, une bonne piste qu'il faut creuser et éprouver (et sur laquelle tu peux aussi écrire une page de jdb créatif à l'occasion)
monsieur, j'ai recréer une adresse e-mail car l'autre adresse a été piratée, je ne pouvais donc pas acceder a ma messagerie. je suis maintenant membre du blog voila ma nouvelle adresse, vous pouvez m'envoyez une demande pour devenir "contributeur" du blog sur sissou-0404@live.fr. merci Assia
RépondreSupprimerD'accord Assia : c'est fait.
RépondreSupprimerMais vérifie quand même sur l'adresse gmail suivante : prenom.nom@gmail.com : je viens de t'y renvoyer aussi une invitation.