Dealing with Clair, les personnages : figures quotidiennes figées
La représentation des personnages veut nous placer dans un contexte familier, un univers que l’on connait bien. Mike et Liz seraient nos jeunes voisins décontractés et un poil « bobo », Clair la jeune femme classique et discrète que l’on croise dans la rue sans la remarquer, James cet homme à l’air louche à qui on a un peu peur de parler.. Cette impression est due à leurs vêtements, très banals et toujours pareils qui les inscrivent dans une routine, mais aussi à leur jeu, très naturel, à leur parole qui coule pour dire des choses plus ou moins importantes. On devine très vite que l’enjeu principal de la pièce est leur parole, car en réalité il ne se passe pas grand-chose. Plus la pièce progresse, plus leur discours nous donne la désagréable impression d’un disque rayé ou d’un écho, ressassant toujours les mêmes mots ou bien ceux des autres, sans en avoir conscience (Sylvain Maurice donne ici un ton fantastique à son adaptation : qui donc a mis cette scène sur « repeat » ?) . Il en est de même, en quelque sorte, de notre société, ou l’on s’inscrit dans un mouvement collectif par l’intégration de tout un code de lieux communs du langage, creux et souvent dits de manière mécanisée. En fait, les deux personnages qui en disent le moins et rompent ce système des répétitions, à savoir Clair et l’étudiante italienne (l‘une par sa discrétion, l‘autre par son attitude désinvolte et décomplexée quant à son corps) sont les éléments qui semblent perturber l’univers balisé des personnages, provoquant chez eux une certaines attirance envers ces deux femmes insolites.
Cette attirance se diffuse vite entre chaque personnage et crée un rapport de séduction tendue entre eux, fait de non-dits, de suspicion et d’hypocrisie. Preuve en est du sourire de Mike, au départ profondément avenant et sympathique, voire un tantinet impertinent et chaleureux. Il se révèle vite dérangeant car invariable, comme scotché à son visage, masque inquiétant : il sourit de la même manière au visiteur de sa maison, à sa femme Liz, à cette étudiante italienne qu’il semble désirer, et garde cette expression goguenarde même dans les situations plus critiques, comme la disparition de Clair. Malgré un sensible changement de costumes lors de la vente de la maison et cette disparition qui les perturbe, ils se réinstallent dans la même répétition de préjugés, d’histoires drôles qui ne font rire qu’eux. Même James, qui serait a priori le personnage le moins enclin à se ranger dans une routine, une manière de vivre figée et vide de sens, reprend la scène du début de manière troublante. A travers la fenêtre de Clair, il porte son t-shirt, fume une cigarette et s’insurge contre la mère de celle-ci, du monde de violence dans lequel nous vivons. Il reproduit à son insu un shéma, une situation qui se répète sans fin.
Cette pièce est à mon avis très intéressante car traitant, à travers un sujet commun et quotidien, la vente d’une maison, de la solitude. Quelle que soit notre statut social, on peine à aller vers l’autre ou, si on le fait, c’est pour se conformer à une idée préétablie de l’autre, et on tourne éternellement sur soi-même.
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