LES COSTUMES DE RENATO BIANCHI, Entretien
Propos recueillis par Marion ferry, 27 juillet 2007
Entretien paru dans Pièce démontée http://crdp.ac-paris.fr/piece-demontee/pdf/l-acte-inconnu_total.pdf
Renato Bianchi, Directeur des costumes à la Comédie-française, nous a reçus, de retour d’Avignon, dans son bureau atelier rempli d’étoffes merveilleuses et de précieux souliers. En 2006, lorsque L’Espace furieux entre au répertoire, Valère Novarina lui demande de créer les costumes, et le prévient d’emblée : « Vous voulez travailler avec moi ? Moi j’ai un problème avec les costumes… » « Moi aussi, j’ai un problème avec les costumes, ne vous inquiétez pas, moi aussi j’ai ce problème ! » lui répond Renato Bianchi.
Renato Bianchi – « Dans ma première expérience avec Valère, sur L’Espace Furieux, au Français (c’est là qu’on s’est connus, et appréciés), on avait traité les costumes en noir et blanc. On voulait que ça ne compte pas trop dans le décor, et que les personnages restent ce qu’il appelait ses « non-personnes ». alors s’est posé le problème pour L’Acte inconnu : en noir, en gris ? Lui était tenté d’aller vers du gris là aussi, vers ces costumes dits « siciliens », parce que sur L’Espace furieux on s’était montré mutuellement à peu près les mêmes bouquins sur l’Italie, la Sicile, les paysans siciliens, ça lui plaisait beaucoup. Mais vite je me suis aperçu que ça ne pouvait pas fonctionner. Comme je connaissais la Cour d’honneur pour y avoir travaillé avec le Français, je sais qu’il faut que les personnages, que les silhouettes existent bien : il me semblait que le gris ne serait pas porteur.
Pour L’Espace furieux, vous aviez un texte ; ici, la pièce était en train de s’écrire : sur quoi vous êtes-vous fondé pour créer vos costumes ?
R.B – Le seul support que j’aie eu, puisque le texte n’était pas encore écrit quand Valère m’a proposé de faire les costumes, c’était le dispositif scénique de Philippe Marioge. Quand je l’ai vu j’ai trouvé ça très beau et je me suis demandé : qu’est-ce que je vais mettre comme costumes là-dedans, qu’est-ce que je peux mettre ? C’est là que j’ai commencé à intervenir avec ces petits personnages que j’ai pris un peu partout, chez Malevitch, chez les constructivistes russes. J’ai assemblé, j’ai découpé, j’ai fait des montages, j’ai construit plein de petits bonshommes colorés mais à l’échelle, parce que je ne voulais pas le montrer en grand, je ne voulais pas que le détail apparaisse. Dans cet espace, je pensais plus à des sculptures, à des personnages posés dans l’espace, structurés, très rigoureux, colorés : pas réalistes du tout, aucun réalisme. J’ai invité Valère à venir les voir, et je lui posais la question : est-ce que ça te semble bien ? parce que je n’avais qu’une approche esthétique en fait, et je ne savais pas ce que l’histoire allait raconter. Il m’a dit ne t’inquiète pas, c’est même très bien que le costume ne raconte pas le personnage. On a essayé de former des espèces de couples, de se dire tel bonhomme irait bien avec tel autre, ou que ce pourrait être tel acteur, etc. Et ça s’est construit comme ça, par un choix peut-être arbitraire – mais Valère seul savait que ça pourrait fonctionner, puisque mon seul support était le dispositif. On a donc avancé ainsi, mais en expliquant à Valère que je souhaitais vraiment que ces personnages soient comme des statues. Je me suis aussi inspiré de la sculpture, notamment d’un sculpteur qui s’appelle Catarina Fritsch : j’aime ses personnages vides, ses « non personnages », ils sont posés dans une espèce d’espace vide ; ils sont finalement très réalistes, mais pas du tout figuratifs. Voilà, j’ai fait un patchwork de tout cela, que j’ai soumis à Valère. Il a été très enthousiaste, et le lendemain j’ai reçu une carte de lui : « Tes intuitions sont très bien. Continue dans tes intuitions.»
Donc, au départ, vous n’avez pas travaillé sur le corps des acteurs, puisque vous ne connaissiez pas même les personnages. Pourtant c’est étonnant à quel point leurs costumes leur conviennent, semblent inventés pour eux…
R.B – J’avais la distribution des acteurs, et dans les silhouettes que je proposais, on a mis un acteur dedans : ce grand personnage rouge, Valère a tout de suite dit que ce serait bien que ce soit Léopold, moi je ne le connaissais pas. J’ai vu les acteurs, je les ai photographiés, j’avais pris leurs mesures, mais je ne les connaissais pas, et je ne savais pas ce qu’ils feraient.
Et donc Valère « remplissait » les costumes !
R.B – Oui, voilà ! Il remplissait les costumes. Avec Valère, on a mis un nom sur chaque silhouette, un nom d’acteur. Valère me disait « ne t’inquiète pas, moi je me servirai de ton travail, peut-être même pour nommer les personnages ». C’est formidable ! Ce qui est extraordinaire, c’est que lorsque tout ça s’est confronté en scène, tout s’est vérifié juste, tout fonctionne : le couple Dominique Pinon - Manuel Lelièvre, les deux Chantres (Valère disait qu’il aimerait « deux petites Mireille Mathieu » !). On s’est beaucoup amusés. Ensuite, ce que je voulais vraiment garder, c’était le corps de l’acteur, je voulais l’utiliser tel qu’il était avec ses rondeurs, ses grosseurs… Je n’ai pas essayé de les avantager. Je voulais en adaptant les costumes sur leur corps, que ce soit une chose très rigoureuse, qui appartienne à leur corps. Je voulais qu’ils deviennent comme des petites sculptures, des petits personnages placés dans l’espace. Le dessein, la structure dans le costume étaient pour moi très importants, qu’il y ait ce maintien jusqu’au bout, que ce soit toujours impeccable. J’utilise des étoffes d’ameublement pour avoir cette tenue. Valère m’encourageait dans ce sens : il me disait « c’est comme mon texte, il est très rigoureux. Ça fonctionne avec mon texte. »
Dans les moindres détails ces costumes sont signifiants ; parlons de ces lignes par exemple qui barrent certains à des niveaux bien précis, très inattendus, des chaussures étranges ou en décalage, de ces longs gants rouges d’Agnès Sourdillon…
R.B – J’ai mis ces lignes justement pour casser s’il en restait le moindre réalisme dans ces costumes, qui après tout sont des costumes de maintenant : je les ai rendus bizarres, j’ai retrouvé une structure qui m’enlève le réalisme, la réalité de la chose. Les gants rouges fonctionnaient très bien. J’ai très vite vu quand Agnès est venue dans cet atelier qu’il ne fallait pas lui faire vraiment une robe, qu’il fallait garder sa conformation. Là, tout est parti du corps de l’actrice. Je lui ai fait un fourreau, et j’ai voulu lui donner un éclat sur les bras – d’où l’idée de ces gants écarlates, qui participent au jeu. Tout concorde, et Valère a très bien su tout utiliser. Les combinaisons, que portent Olivier Martin-Salvan, (Le Chanteur en Catastrophe, Le fantoche…) et Dominique Parent (Jean qui Corde, L’Illogicien, La Machine à Dire beaucoup…) sont inspirées de Malevitch, de ces petits personnages sans prétention posés dans l’espace. Je voulais des choses simples…
Simples, épurées, mais très sophistiquées.
R.B – Oui, c’est cela, une pureté de lignes et des traits qui brisent le réalisme, ou le reste de réalisme qu’il peut y avoir dans ces vêtements.
Avez-vous travaillé la couleur à partir du décor ?
R.B - Je ne l’ai pas travaillée forcément par rapport au décor, mais le décor m’a projeté vers la couleur, et aussi parce que dans la Cour d’honneur, il faut détacher les personnages ; mais après-coup, quand j’ai vu la peinture de Valère, sans avoir voulu le faire exprès, j’ai retrouvé des couleurs que j’avais utilisées… ça s’est trouvé comme ça, il y avait des correspondances entre la peinture de Valère et les couleurs des costumes : le jaune vert de Dominique Pinon, le rose un peu mauve de Manuel Lelièvre., il y a ça dans sa peinture. Inconsciemment tout cela s’est mêlé.
Et ce rouge éclatant du costume de Léopold Van Verschuer, le Déséquilibriste, « La parole portant une planche », qui ouvre le spectacle ?
R.B – Ce rouge pour moi est essentiel, dans ce dispositif, avec ce trait rouge qui traverse le décor : dans cet espace c’est pour moi l’équilibre du tout. C’est un rouge pur, alors que j’utilise pour les autres des étoffes tissées deux fils : un vert et un rouge pour Dominique Pinon, un rose et un bleu pour Emmanuel Lelièvre : la couleur change selon la lumière. Avec son costume rouge et sa haute stature, ces petits personnages que je voulais dans l’espace, il me les assoit. je l’ai même grandi encore pour lui donner une plus haute stature encore par rapport aux autres ; il m’a redonné un équilibre dans le tout.
Et quand avez-vous pu enfin entendre le texte et voir vos costumes entrer sur les personnages ?
R.B – À Bobigny, où on a répété trois fois avec les costumes avant de partir pour Avignon. Ça a été la surprise, puisque je n’avais pas le texte, je n’avais rien… Valère me l’a offert le jour de la première. Je l’ai découvert à Bobigny. Chaque personnage que j’habillais, Valère venait voir, et il était joyeux ; et les comédiens m’ont dit qu’ils l’avaient rarement vu joyeux : son problème avec les costumes...
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire